Étude 2016
Analyse des demandes d’accompagnement sexuel et/ou sensuel formulées auprès de l’APPAS
Introduction
La sexualité des personnes en situation de handicap a depuis quelques décennies été mise sous le feu des projecteurs sans qu’aucune solution concrète ne soit apportée au-delà d’une temporisation, voire d’une interdiction explicite ou non, dans les institutions de prise en charge ou dans les familles.
Depuis trois ans, c’est pour dépasser les débats d’idées et proposer une solution concrète que l’Association Pour la Promotion de l’Accompagnement Sexuel (APPAS) propose des formations à des futur.res accompagnant.es sexuel.les et met en relation les personnes formées avec des personnes en situation de handicap qui formulent une demande. Cette démarche s’inspire des réalisations hollandaises, danoises, autrichiennes et suisses ayant fait leurs preuves depuis quelques années et ayant parfois abouti à une reconnaissance légale de cette activité et du statut d’accompagnant sexuel.
Depuis sa création, l’APPAS comptabilise 580 demandes de personnes en situation de handicap qui souhaitent explorer enfin leur sexualité et/ou leur sensualité et continue de défendre ses valeurs et ses objectifs en gardant son cap, assumant ainsi de facto d’être en infraction avec la loi sur le proxénétisme ainsi que sur celle pénalisant les client.es des professionnel.les du sexe – par conséquent des accompagnant.es sexuel.les aussi, puisqu’ils/elles sont assimilé.es à cette catégorie « socioprofessionnelle ».
Si cette démarche se confronte au droit, elle interroge également les représentations de la sexualité, du handicap, de la prostitution et de l’accompagnement sexuel et/ou sensuel. Cette démarche implique aussi un questionnement éthique permanent dont il n’est pas possible de faire l’économie. Il s’agit d’interroger les responsabilités, les principes, les vulnérabilités de chacun.e … Si un long travail reste à poursuivre, c’est aussi avant tout au nom de l’éthique que l’APPAS a choisi de répondre aux demandes sexuelles et/ou sensuelles des personnes en situation de handicap. Reconnaître et proposer un accompagnement sexuel et/ou sensuel c’est reconnaître l’identité des personnes, leur pleine citoyenneté, sans discrimination, dans une démarche humaniste et humanisante. En proposant des accompagnements sexuels et/ou sensuels, l’APPAS a choisi d’écouter les personnes en situation de handicap et de considérer que leur parole a du sens.
Cette synthèse des demandes exprimées en 2016, via le site internet de l’association a précisément pour vocation de faire entendre cette parole exprimée.
En 2016, l’APPAS compte 297 demandes d’accompagnement sexuel et/ou sensuel via son site internet, ce qui est largement supérieur aux 180 demandes enregistrées en 2015[1]. Ces demandes émanent de toute la France avec la répartition suivante :
[1] Il faut préciser que c’est en réalité 343 formulaires de demandes qui ont été complétés sur le site internet mais que L’APPAS a fait le choix d’y soustraire les doublons, les formulaires incomplets, les demandes générales émanant d’institutions sans que cela ne concerne un.e résident.e particulier.e, et autres demandes non recevables, notamment celles qui concernent des handicaps, vécus comme tels par les personnes en demande, mais non reconnus par les classifications officielles des handicaps.
Comme l’année précédente, nous observons une forte concentration de demandes dans la région Île-de-France, puis en Alsace Champagne-Ardenne Lorraine, là où se situe le siège actuel de l’association. Une présence régulière régionale auprès des institutions, et lors des différentes conférences et colloques, semble donc favoriser la connaissance des activités de l’association et faire émerger une plus forte demande.
Nous proposons de présenter, dans une première partie les profils des personnes qui ont sollicité une demande d’accompagnement sexuel et/ou sensuel auprès de l’APPAS en 2016, puis nous donnerons un aperçu plus précis du contenu de ces demandes.
Profil des personnes formulant une demande d’accompagnement sexuel et/ou sensuel
Nous proposons ici un rendu plus précis du profil des personnes sollicitant l’APPAS pour bénéficier d’un accompagnement sensuel et/ou sexuel en fonction de critères d’âge, de sexe, de type de handicap, de lieu d’habitation et de contenu de la demande.
1-L’âge
Comme en 2015, la catégorie d’âge des 26-35 ans représente presque le tiers des demandes mais toutes les tranches d’âges sont concernées. La moyenne d’âge générale est de 40 ans.
2-Le sexe
5,3% de femmes ont sollicité l’APPAS en 2016, ce qui reste identique à l’année précédente. Celles-ci sont âgées de 24 à 58 ans pour une moyenne d’âge de 41 ans.
Si les demandes de femmes ne semblent pas se distinguer de l’ensemble des demandes, qu’il s’agisse du type de handicap des femmes ou du contenu de la demande exprimée, le fait qu’elles soient si minoritaires peut interroger. Serions-nous conditionnés culturellement pour considérer les envies féminines comme moins importantes ? Ce plus petit nombre de demandes n’est-il pas à mettre en relations avec les représentations des professionnels des institutions, des familles, voire des personnes elles-mêmes ? Une femme est généralement « moins crainte pour ses débordements libidinaux. Les attentes féminines, bien qu’existantes, restent plus souvent muettes et prennent la voix de la dépression. En conséquence, ces besoins, moins visibles n’interpellent pas l’entourage qui n’aurait pas à les prendre en compte[1]»
Ce constat semble interroger la prise en compte plus globale de la sexualité des femmes avec des répercussions sur les femmes en situation de handicap. Un effort reste donc encore à fournir pour permettre sa reconnaissance et favoriser éventuellement un recours à l’accompagnement sexuel pour les femmes en cas de demande.
3-Le type de handicap
Le type de handicap référencé s’appuie sur les déclarations et les explications apportées par la personne ou son entourage. Pour une meilleure visibilité des différents types de handicaps qui touchent les personnes en demande d’accompagnement, nous avons constitué 6 catégories de handicaps :
- Le handicap physique
- Le handicap psychique
- Le handicap mental
- Le handicap sensoriel
- Le polyhandicap
- Autre-non reconnu par les classifications officielles
[1] Vatré Françoise et Agthe Diserens Catherine, 2012, Assistance sexuelle et handicap, ed Chronique sociale.
Quel que soit la nature du handicap ou le niveau de dépendance, l’accompagnement sexuel et/sensuel peut être envisagé dans tous les cas, à condition que le handicap soit reconnu par les classifications officielles. Le graphique montre que 7% des demandes concernait un handicap considéré comme tel par la personne concernée, mais non reconnu. L’APPAS ne souhaite pas donner suite à ce type de demande actuellement.
Bien qu’il soit souvent considéré comme plus légitime et plus majoritairement sollicité par les personnes en situation de handicap physique (77%), l’accompagnement sexuel et/ou sensuel trouve également sa légitimité dans le champ du handicap psychique (8%), mental (4%) et sensoriel (3%). Dans le champ du handicap sensoriel, celui-ci est souvent associé à des difficultés motrices ou intellectuelles. Un nombre plus réduit de demandes (1%) concerne des personnes en situation de polyhandicap.
Voici un aperçu des différents types de handicaps indiqués dans les fiches de renseignements:
- La sclérose en plaque : Peut porter atteinte au contrôle des mouvements, la perception sensorielle, la mémoire, la parole.
- La tétraplégie avec ou pas de trachéotomie : La tétraplégie correspond à la paralysie des quatre membres la trachéotomie – une ouverture chirurgicale à la face antérieure du cou (au niveau de la trachée) comblée par un petit tube constitué en matière plastique, en métal, ou en caoutchouc « canule » pour faciliter le passage de l’air.
- L’infirmité motrice cérébrale (IMC) : Trouble moteur spastique, trouble moteur dyskinétique
- La paraplégie : Paralysie plus ou moins complète des deux membres inférieurs et de la partie basse du tronc.
- L’autisme : Une perturbation des interactions sociales, des troubles du langage, de la communication non verbale et des activités stéréotypées avec restriction des intérêts.
- La schizophrénie : Altération profonde du fonctionnement cognitif et social, de l’hygiène, de la régulation des émotions, de la capacité à entreprendre ou à planifier des actions centrées sur des buts.
- La bipolarité : Fluctuation anormale de l’humeur, oscillant entre des périodes d’élévation de l’humeur ou d’irritabilité, des périodes de dépression et des périodes d’humeur normale.
- La poliomyélite : Des paralysies flasques et asymétriques.
- La myopathie de Duchenne : Une dégénérescence progressive de l’ensemble des muscles de l’organisme.
- L’ataxie ou l’ataxie de Friedrich : Une pathologie neuromusculaire qui se traduit par des troubles de l’équilibre et de la coordination des mouvements volontaires.
- Le traumatisme crânien : Les séquelles sont – la fatigue, des difficultés cognitives et émotionnelles, troubles de la mémoire, difficultés de planification, d’organisation, d’inhibition, de raisonnement, de jugement.
- L’amyotrophie spinale infantiles : Caractérisée par une faiblesse et une atrophie des muscles.
- L’arthrogrypose : Il s’agit de déficiences neuro-motrices et de déformations et raideurs d’articulations constatées à la naissance.
- Troubles associés ou pas à un autre handicap sensoriel : Aveugle, malvoyant, microcéphalie.
- Handicap mental sans donner de précision.
- Spina-bifida : Développement incomplet de la colonne vertébrale, une faiblesse musculaire des jambes ou une altération de la démarche, déformation des pieds, perte de sensibilité, douleur au dos, apparition de problème d’incontinence urinaire ou fécale.
- Syndrome de Morquio : Infléchissement de la croissance staturale avec nanisme à tronc court, troubles de la marche, cyphose thoracique.
- Syndrome de Bardet-Biedl : Obésité, troubles de la vision, anomalies des doigts, dans certains cas un mauvais fonctionnement des reins et des anomalies des organes génitaux.
- Dystonie : Caractérisée par des troubles moteurs, des contractions musculaires involontaires, ceci peut toucher les quatre membres, ainsi que la face, le cou et la colonne vertébrale.
- Syndrome d’asperger : Des difficultés significatives dans les interactions sociales, associées à des intérêts restreints et/ou des comportements répétitifs.
4-Le lieu d’habitation
D’après le tableau ci-dessus, la grande majorité des personnes qui formulent une demande d’accompagnement sexuel et/ou sensuel vivent seules à leur domicile, tout en étant parfois accompagnées par des auxiliaires de vie. Nous pouvons formuler l’hypothèse que le fait de vivre seul.e à son domicile favorise l’émergence de ce type de demande car elle offre une plus grande liberté pour la formuler mais aussi pour la rendre concrète, dans le respect de l’intimité.
Le décalage avec le nombre de demandes émanant de personnes vivant en institutions ou en famille laisse entrevoir le travail qu’il reste à réaliser avec ces dernières pour faciliter la connaissance de l’association et son relais auprès des personnes susceptibles de formuler ce type de demande. Plus largement, cela soulève la question de l’absence de reconnaissance de la vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap et des représentations qui demeurent autour de cette sexualité, et de l’accompagnement sexuel et/ou sensuel. Pour ces raisons, l’APPAS propose également des séances de formation et/ou de sensibilisation des équipes au sujet de l’accompagnement sexuel et/ou sensuel.
Il arrive pour certaines personnes d’être en institution la semaine et en famille le week-end. Dans ces cas-là, nous avons retenu le lieu dans lequel la personne passe la plus grande partie de son temps, à savoir l’institution.
La case « autre » concerne des personnes qui vivent la plupart du temps dans des institutions semi-ouvertes de type ESAT ou FJT, ou dans des résidences dites « accueil » ou des appartements dits « de proximité » souvent rattachés à des institutions. D’autres personnes vivent en colocation ou en couple. Cette case « autre » regroupe aussi les demandes qui n’ont pas clairement précisé le lieu d’habitation. Ce type de lieu d’habitation a été volontairement distingué des institutions classiques car il semble offrir une plus grande marge de manœuvre aux personnes pour accueillir un.e accompagnant.e sexuel.le et/ou sensuel.le, tout en étant parfois soumis à un règlement intérieur strict qui régule les visites de l’extérieur. La vie en colocation peut également complexifier la possibilité de bénéficier d’un accompagnement sexuel et/ou sensuel à domicile pour des raisons de discrétion.
Aperçu du contenu des demandes exprimées
La plupart des demandes ont été formulées par la personne concernée (93% de l’ensemble des demandes traitées). Cependant, certaines personnes avaient besoin d’un tiers pour écrire et exprimer le besoin. Ainsi 22 demandes ont été exprimées par une tierce personne, dont 15 par des membres de la famille, 4 par des professionnels et 3 qui n’ont pas précisé clairement l’identité/le statut de cette tierce personne. Nous vous proposons d’abord un aperçu des demandes rédigées par ces tierces personnes. Afin d’être fidèle à la formulation et de préserver l’anonymat des personnes impliquées et de leur entourage, nous avons modifié les prénoms et retiré les indications pouvant les identifier.
1-Les demandes formulées par des tierces personnes
Famille
>Frère pour homme de 25 ans (handicap psycho moteur):
« Bonjour, je me permets de vous écrire pour mon frère, cette démarche (vous contacter) est une démarche en accord avec Romain et nos parents. En effet, la confrontation à l’envie et à la frustration de Romain s’est posée à nous il y a quelques années et est revenue récemment car il est en couple avec une autre jeune handicapée et ils veulent passer le cap. Cependant après diverses conversations, il s’avère que Romain a peur, par méconnaissance de son corps et de celui de l’autre mais également par inexpérience (notre avis). C’est ainsi que nous pensons qu’un accompagnement sexuel pourrait lui (et leur) permettre de s’épanouir. […]. En fait, nous souhaitons pour Romain un réel accompagnement sexuel, passant par la découverte de son corps, l’hygiène, le corps de sa partenaire, la découverte de son plaisir et savoir en donner à l’autre ».
>Mère pour homme de 22 ans (trisomie sévère)
« J’ai appris à Hugo à se masturber à l’âge de 12 ans; aujourd’hui il en a 22 et est en grand manque sexuel; il s’exprime comme il peut; on le comprend; il ne sait pas écrire, aussi suis-je son porte-parole; Je me dirige vers l’Appas pour connaitre les possibilités de répondre à cette carence dans (la région concernée).[…] Si un accompagnement était possible, la douceur serait le 1er pas à lui apprendre, les câlins, les caresses; il est très physique; puis j’attendrais un apaisement de mon Hugo et de découvrir les déblocages psychologiques que cela induirait forcément. »
>Père pour homme de 28 ans (déficience mentale)
« Bonjour je fais la démarche pour mon fils, il est handicapé, comme on dit déficience mentale légère, il est en ESAT, il a 28 ans , n’a jamais eu de rapport sexuel , il serait impuissant d’après la psychologue ! ce n’est pas facile à expliquer en deux mots, ni facile tout court pour moi de faire cette démarche! je ne sais pas comment expliquer, il a eu des amies, mais plutôt comme une copine, une sœur! il ne se confie pas facilement, il a peur de l’inconnu! il manque cruellement de confiance en lui !! si vous ne pouvez rien faire, pouvez-vous m’indiquer ce que je pourrais faire? sinon il a son appartement et rentre le WE à la maison, il a sa propre voiture ». Répondant à la question : quelles sont les attentes exprimées ? « Difficile à dire : une amie une approche de la sensualité, aider à ne pas avoir peur de la femme, éducation sexuelle je vous remercie. »
>Mère homme 28 ans (autisme modéré)
« Je suis la mère, mon fils est en institution du lundi au vendredi, à la maison le weekend. Dans son institution, il ne peut y avoir de relations possibles entre les résidents, il en souffre. C’est en cherchant sur internet que j’ai découvert l’Appas. Je réponds à la place de mon fils autiste qui exprime le besoin de toucher le corps d’une femme! Comment répondre à ses besoins? vous pouvez me recontacter par mail pour d’autres précisions ».
>Sœur pour homme 48 ans (IMC)
« Bonjour, je suis la sœur d’Etienne. C’est moi qui vous écrit car mon frère ne peut le faire. Etienne […] a un handicap physique mais peut marcher. […] Il a une déficience mentale. […].il ne sait ni lire, ni écrire. C’est un fan de football, voire de tous les sports. Il travaille en CAT depuis l’âge de 20 ans et avant il était en institut. Il vit chez sa mère depuis toujours mais de temps en temps va en foyer le week-end. Il n’est pas réellement autonome. […] Il n’a jamais eu de relation sexuelle. Et ma mère ne l’a jamais surpris en train de se masturber. Elle n’a jamais retrouvé de traces de sperme dans son lit. Aujourd’hui, nous nous trouvons dans une impasse. Il est en demande de tendresse, de câlins, mais pas réellement de sexe. Malheureusement, quelqu’un lui ayant dit au CAT que c’était plus facile de se tourner vers les enfants, il a eu des comportements un peu trop véhéments vers des enfants. Il a vu une psychologue qui a conclu que ce n’était pas un pervers. Il souhaite qu’on lui trouve une femme de 40 ans pour qu’elle lui dise des mots d’Amour […] Je m’étais déjà renseignée sur l’assistanat sexuel il y a 2 ans, sauf que c’était interdit en France. J’avoue que je souhaite vraiment l’aider mais j’ai peur d’ouvrir la « boîte de Pandore »et qu’il souffre de ne pas avoir tous les jours, une femme auprès de lui. Vous allez me dire, il en souffre déjà. Pouvez-vous me conseiller, s’il vous plait ? Serait-il possible de prendre contact avec une assistante sexuelle ? Merci d’avance pour votre écoute et vos conseils. […] Nous espérons : -Qu’il puisse sortir de cette frustration sexuelle (ou autre que sexuelle). -Qu’il puisse exprimer mieux ces besoins. -Qu’il souffrira moins de l’absence d’une compagne auprès de lui. -Et nous aimerions surtout qu’il soit plus à l’aise pour aller vers des femmes de son âge (physique et mental) et qu’un jour il puisse rencontrer quelqu’un avec qui il vivra mieux. […] »
>Sœur pour homme de 52 ans (handicap moteur)
« Je suis la sœur de Patrick handicapé moteur. Il est en institution depuis quelques temps. Mon frère est déprimé et après consultation avec son psychologue il nous a bien fait comprendre qu’il avait besoin de connaître l’amour et le sexe avant de mourir. Il rentre à la maison un weekend sur 3. Nous pouvons accueillir l’assistante sexuelle. Après avoir consulté une association Corps Solidaire qui malheureusement ne peut subvenir à notre demande elle nous a dirigé vers vous. Merci de prendre en considération ma demande mon frère ne va pas bien du tout. Mon frère attend une relation sexuelle. Vu son corps il ne pourra certainement pas avoir de relation sexuelle. Mais il voudrait au moins connaître la relation. »
>Mère pour fils de 27 ans (IMC)
« Je suis curatrice de mon fils Ben qui nous demandé, à nous parents, à plusieurs reprises, de découvrir ce qu’est un rapport sexuel. Nous souhaitons que cette découverte se passe dans des bonnes conditions. Nous écrivons ces mots en accord avec lui mais il ne peut écrire. Ben souhaite découvrir le contact « peau à peau », les caresses et tous les plaisirs érotiques d’un rapport sexuel. »
Professionnels
>l’équipe d’accompagnement d’un homme de 36 ans (hémiplégie)
« La demande est formulée par l’équipe d’accompagnement sous contrôle du curateur. Mathieu vit seul à domicile et peut recevoir. Il bénéficie d’un accompagnement professionnel quotidien. Il n’est pas en capacité de faire une démarche de rencontre de façon autonome. Mathieu attend d’une accompagnante sexuelle qu’elle puisse lui permettre de retrouver le chemin du plaisir jusqu’à l’orgasme. Il désire intensément être au contact d’un corps de femme même si l’acte sexuel doit se limiter à une masturbation. »
>Un chef de service pour homme de 39 ans (déficience intellectuelle)
« Antoine […] connaît de grosses difficultés d’élocution. Il semble qu’il ait vécu des carences affectives et éducatives importantes ce qui pourrait peut-être expliquer son attitude douloureuse au sentiment abandonnique […] Antoine est un homme vigoureux, très indépendant, astucieux mais également impétueux. L’attente, les tergiversions et la frustration de manière générale lui sont difficilement supportables. Lorsqu’il les rencontre, il peut facilement s’emporter. Il va alors dans son appartement pour retrouver son calme. Généralement il revient après un moment vers les professionnels et attend qu’ils s’intéressent à lui et/ou l’interpellent. Par ailleurs, il peut se montrer « hypocoristique », et prendre le personnel dans ses bras sans respecter l’espace d’intimité des personnes […] Suite à des agressions à caractère sexuelles sur mineur, Antoine a fait l’objet […] d’un suivi psychiatrique et judiciaire. Des progrès conséquents ont été réalisés par Antoine, surtout dans la distance avec autrui et dans sa relation avec les enfants. Le Docteur psychiatre conclut que c’est une activité sexuelle bridée et frustrante qui ont pu conduire Antoine à ces agressions (2). Ses difficultés à exprimer ses sentiments et ses envies, font que Antoine, sa tutelle, l’équipe et la psychiatre, nous conseillent de faire appel à l’APPAS pour compléter le travail commencé dans l’accompagnement à une vie affective et sexuelle plus épanouie pour Antoine. Il vit seul, possède un appartement de Type 2 à la résidence dans lequel il peut recevoir. Antoine a besoin : d’une relation sensuelle, d’une découverte concrète du corps féminin, d’une rencontre qui peut se répéter dans le temps. »
>Curateur pour homme 65 ans (troubles psychologiques)
« Nous vous sollicitons en qualité de curateur de Mr DURANT qui est en EPHAD. Il verbalise des envies d’un échange avec une femme. Mr DURANT évoque surtout l’envie de caresses. Il a une sonde urinaire. Cela fait plus de 10 ans qu’il n’a pas touché une femme. Il a en plus des difficultés de déplacement. Il a autant besoin de tendresse que de caresses. Nous vous sollicitons car il nous semble essentiel de prendre en compte la dimension sexuelle et de bien-être dans l’accompagnement des personnes. Nous pensons qu’un échange avec une personne formée est plus adapté à la demande de Mr DURANT. Mr DURANT souhaite pouvoir toucher une femme, avoir des caresses. Cependant depuis le temps qu’il n’a pas eu de relation et surtout le fait qu’il soit sondé, il ne sait pas trop comment cela peut se passer. »
>Educateur pour un homme 56 ans (handicap moteur)
« Le patient vit en appartement. Il se déplace en fauteuil. Il a dernièrement fait la demande à ma collègue infirmière pour lui faire l’amour. Il est vraiment en souffrance sur ce point-là. Il peut recevoir […] Il vit seul. Qu’il puisse de temps en temps apaiser les demandes sexuelles de ce patient. Il est bien sur possible qu’il fasse ensuite un transfert amoureux, mais je suppose que vous saurez gérer cette demande. »
2-Les demandes formulées par les personnes concernées
Les demandes et les attentes d’accompagnements sexuel et/ou sensuel sont diverses et variées en fonction des personnes. Si certain.es expriment clairement le désir d’avoir un rapport sexuel complet, ou de bénéficier d’une stimulation des organes génitaux, voire d’apprendre l’autostimulation, d’autres font le lien entre estime de soi et accompagnement sexuel et/ou sensuel. Il s’agit alors de retrouver confiance en soi, de recouvrir une forme d’assurance, de pouvoir se sentir à l’aise dans l’intimité avec une autre personne. D’autres demandes concernent davantage un désir d’affection et de tendresse ou de ressentir du plaisir tout en faisant plaisir à l’autre. La volonté de s’approprier, ou se rapproprier son corps est également exprimée. Nous proposons ici une illustration de différentes demandes, les prénoms ayant ici aussi été changés :
>Homme, 27 ans (paralysie des membres inférieurs)
« Je vis seul à mon domicile, avec l’aide quotidienne de personnes dont c’est le métier, pour les repas, le ménage et ma toilette. Je sors peu mais ça m’arrive de temps en temps, même si le plus souvent je préfère rester chez moi. Je peux facilement recevoir chez moi, et en toute discrétion. Si j’ai décidé de franchir le pas c’est que vos services proposent exactement ce dont j’ai grandement besoin, et que ce n’est le cas nul part ailleurs. J’ai déjà envisagé d’autres solutions, mais la vôtre est de loin la mieux adaptée à ma situation et mes envies. Après avoir vu un reportage sur internet par hasard j’ai pris le temps de bien me renseigner, et je me décide finalement en ce jour particulier. Tout simplement une charmante compagnie féminine, de la chaleur humaine et de la tendresse, un contact agréable avec une personne attentionnée, et plus si le désir se fait sentir. »
>Homme, 28 ans (IMC)
« Je suis passé par plusieurs sites ou applications de rencontre. Aucun problème pour nouer des contacts. Mais dès que j’évoque mon handicap ce n’est plus la même chose. Beaucoup ont peur et aucune des rencontres n’aboutissent à rien. Si bien qu’à 28 ans j’ai beaucoup de mal à avoir des relations sexuelles. Je souhaite un accompagnement dans la pratique de ma vie sexuelle, notamment pour m’aider à prendre conscience par la pratique de ce qu’il m’est possible de réaliser ou non avec mon handicap. Pour ainsi je l’espère arriver à connaître mes possibilités, m’aider à prendre confiance afin que je puisse transmettre cette confiance lors de mes futures rencontres et ainsi à terme me passer de ce service. »
>Femme, 30 ans (Hémiplégie/épilepsie)
« Ce qui me conduit à l’Appas est la sensation que mon corps a beaucoup de mal à ressentir du plaisir suite à de nombreux traumatismes vécus comme les crises d’épilepsie. J’ai du mal à me laisser aller dans les sensations agréables qui sont synonymes d’épilepsie dans mon corps. Ça me gêne beaucoup dans mes relations sexuelles avec les hommes, et j’aimerais rencontrer un professionnel pour aborder la sensualité et le plaisir dans des situations de confort et d’écoute. Peut-être que je ne toque pas à la bonne porte, dans ce cas pourrez-vous me réorienter ? Merci. J’attends de rencontrer une personne avec qui je pourrai me détendre physiquement, j’aimerai recevoir des massages et avoir un orgasme. »
>Homme, 46 ans (déficience intellectuelle)
« J’ai 46 ans puceau célibataire, je n’ai jamais eu de rapports sexuel avec des femmes je n’ai sucé que les hommes si l’on veut bien appeler ça rapport sexuel. Je n’ai jamais eu de rapport par derrière. Combien faites-vous payer vos accompagnateur (trisses) ? Acceptez-vous les handicapés à déficience intellectuelle légère ? Je suis valide. J’ai très peu de moyen financiers. »
>Homme, 30 ans (myopathie)
« Je vis seul dans une chambre où je peux recevoir […] Je n’ai jamais eu de rapports sexuels à cause de ma myopathie FSH qui m’atteint lourdement. Actuellement, je souffre d’un isolement physique qui ne me permet pas de vivre une vie épanouie. Je suis incapable d’avoir une relation avec une femme banale et je pense que l’accompagnement sexuel, qui pourrait au début se borner à des caresses et massages pour reprendre confiance en mon corps, est le seul moyen de quitter cette misère affective et sexuelle. » Qu’attendez-vous ? « De la rencontrer, avant tout, pour discuter de nos points de vues sur la sensualité et la sexualité. Puis, si nous sommes sur la même longueur d’onde, des caresses, des massages ou des contacts physiques, selon son choix, pour retrouver confiance en moi. »
>Homme, 59 ans (sclérose en plaque)
« Bonjour je vis à domicile et peux me déplacer […] J’ai une sclérose en plaques avec quelques troubles de la marche et de la fatigue chronique. J’ai aussi des troubles sexuels, notamment une érection instable…Mais ce qui me manque le plus, ce sont des contacts physiques, des caresses… Et une partenaire patiente et compréhensive avec mes difficultés d’érection qui saurait me redonner confiance en moi. Je ne me sens pas capable de faire l’amour, mais j’ai besoin de donner et de recevoir des caresses: le contact physique me manque et je ne me sens pas ni d’aller voir des prostituées, ni de séduire pour décevoir ensuite… Une personne formée pourrait peut-être me redonner confiance en moi au-delà même du besoin de contact corps à corps, des caresses…Si la jouissance n’est pas forcément un but en soi, une femme formée et volontaire (et patiente) pourrait peut-être arriver à me faire jouir par ses caresses manuelles ou buccales: cela ne m’est pas arrivé depuis si longtemps que je perds toute confiance en moi et me sens plus diminué encore…»
>Femme, 58 ans (psychose)
« Je veux redonner vie et confiance en mon corps »
>Homme, 38 ans (handicap moteur)
« Je vis en institution et je peux recevoir je suis en couple avec une femme aussi handicapée. Je voudrais avoir des relations sexuelles car je ne peux pas en avoir avec ma copine. Ça m’aiderait à m’épanouir dans mon couple »
>Homme, 32 ans (handicap visuel)
« Je vis en institution dans un studio indépendant avec des éducateurs qui m’aident. Je peux recevoir chez moi une assistante. Je vis seul. Qu’elle m’apprenne à faire l’amour. Je n’ai jamais eu de relation. J’ai peur de ne pas connaître ça à cause de mes difficultés. »
>Homme, 50 ans (tétraplégie)
« Je me dirige vers vous car j’ai besoin de reprendre confiance en moi, le contact charnel me manque… Et j’aimerais savoir si cela fonctionne encore…. J’attends de savoir si tout fonctionne encore chez moi. J’attends de retrouver une certaine proximité autre que pour des soins. Et voir si je suis capable d’éprouver à nouveau du plaisir. »
>Homme, 39 ans (amyotrophie spinale)
« Je vis en appartement avec ma sœur je peux recevoir à domicile. N’ayant jamais eu la chance de pouvoir explorer les plaisirs sexuels car je suis encore vierge, et après avoir essuyé quelque échec auprès de professionnels du sexe qui ne voulaient pas de moi je me tourne vers vous. J’attends en 1er la découverte de la sensualité, voir le corps nue d’une femme, sentir ses caresses puis si cela est possible avoir la chance d’avoir une relation sexuelle. »
>Homme, 28 ans (tétraplégique)
« J’ai pas mal d’amis et de personnes que je vois régulièrement mais l’accès au sexe reste plus compliqué ne serait-ce qu’à aborder auprès du public féminin. Pas toujours simple de pouvoir appréhender certaines choses. J’ai donc entendu parler de vous il y a très peu de temps donc à voir pour la suite. Je pense que l’important serait de pouvoir aborder la question sexuelle techniquement parlant avec quelqu’un qui aurait des connaissances sur la pathologie. Quelqu’un qui connaît la tétraplégie, connaît aussi les choses à savoir qui ont des répercussions au niveau sexuel et je pense que ça enlèverait un poids pour se faire plaisir mutuellement »
>Femme, 33 ans (traumatisme crânien)
« Je suis handicapée depuis l’âge de 16 ans. Si je vous contacte c’est pour recevoir de la tendresse féminine, reprendre goût au sexe et de la confiance en moi! Je souhaite reprendre de la confiance en moi pour le sexe et mon approche envers les femmes. J’aimerais trouver les bons gestes pour être sensuelle (malgré mon handicap) et savoir comment m’y prendre pour passer à l’acte. De pars la personne qui m’accompagnera j’aimerai qu’elle me montre comment faire tout ça en pratique jusqu’à l’acte sexuel. »
>Homme 54 ans (déficience intellectuelle et amputation de la jambe)
« Je souhaite depuis longtemps voir des prostituées mais j’ai des difficultés dans mes déplacements et ne connais pas les endroits et je ne peux pas m’y rendre seul. Je souhaite une relation sexuelle avec une femme. J’ai l’habitude de regarder des films pornographiques mais je n’ai pas toujours de plaisir. J’aimerais essayer avec une femme pour voir si j’ai du plaisir. »
En conclusion, les demandes d’accompagnement sexuel et/ou sensuel sont variées, qu’il s’agisse de leur contenu ou du profil des personnes qui les formulent. Cette variabilité implique une adaptabilité permanente des accompagnant.es sexuel.les et/sensuel.es dans le respect de leurs propres limites, et rend compliqué l’établissement de protocoles « d’interventions –types » pour l’ensemble des accompagnements. Il s’agit avant tout d’une rencontre, certes tarifée, entre des personnes, dans un climat de confiance et de respect. S’il est souvent question d’évoquer ensemble les termes d’accompagnement « sexuel » et « sensuel » c’est à la fois pour rompre avec l’idée d’une sexualité qui ne serait que génitale, mais aussi pour considérer que les demandes recensées concernent souvent des demandes d’affection corporelle, de caresses, de toucher dans une volonté de s’approprier ou de réapproprier son corps et de retrouver une estime de soi.
Le terme d’accompagnement est également préféré à celui d’assistance, terme utilisé par ailleurs dans les pays frontaliers par empreint à la tradition anglo-saxonne qui parle de « sexual assistance ». Il s’agit pour l’APPAS de militer pour une approche visant, le plus possible, à favoriser l’autonomie des personnes accompagnées sans tomber dans une approche ni thérapeutique ni misérabiliste.
Si un accompagnement sexuel et/ou sensuel implique une première demande d’une personne ou de son entourage via le site internet de l’association, celle-ci n’a cependant pas la garantie d’aboutir à un accompagnement sexuel et/ou sensuel en fonction de nombreux paramètres : non reconnaissance du handicap dont la personne est porteuse, disponibilité d’un.e accompagnant.e sexuel.le et.sensuel.e dans la région concernée, contraintes financières, demande non conforme au cadre de l’APPAS, évaluation d’une réponse différente à apporter… Lorsque la demande d’accompagnement sexuel et/sensuel est prise en compte, un premier entretien permet aux protagonistes de se rencontrer et d’échanger sur la façon dont pourra se dérouler cet accompagnement, en toute sécurité et dans un contexte/lieu favorable et propice. Les formations délivrées aux futur.es accompagnant.es ont précisément pour objet, en plus de développer des compétences théoriques et techniques en matière de handicap et de connaissance du cadre légal, de développer des compétences psychologiques indispensables à cette activité. Ces compétences visent à favoriser l’écoute, le ressentis, l’empathie pour mieux comprendre les besoins, attentes, peurs, désirs, paniques et espoirs des personnes qui nous sollicitent.
Le travail de l’APPAS est lancé. Les demandes se multiplient d’années en années et concernent en majorité un public d’hommes, en situation de handicap physique, âgés de 26 à 35 ans et vivant seuls à domicile. Si ce profil de demande est majoritaire, cela ne signifie pas pour autant que les femmes, les personnes plus âgées, les personnes en situation de handicap mental ou vivant en institution ont des envies et des aspirations différentes. Il s’agit de considérer plutôt qu’il existe de nombreux freins et tabous liés à un ensemble de représentations à faire évoluer, en particulier dans les institutions et auprès du grand public. Le travail auprès des institutions fait partie des champ d’intervention de l’APPAS. Or, en l’absence de législation reconnaissant l’accompagnement sexuel, les possibilités de subventions de ses activités demeurent limitées et ne permettent pas un travail de profondeur pourtant nécessaire auprès de ces institutions.
Étude 2015
Sur la situation de l’accompagnement sexuel en France
Par Akim Boudaoud
Vice-président, sexologue et psychologue
Introduction :
Depuis plus de trente ans, en Europe, les personnes en situation de handicap sont en mesure de bénéficier de services d’accompagnants sexuels professionnels. Est-ce une étape importante à la question de l’autodétermination des personnes dépendantes ?
Comme, tout être humain, un homme ou une femme en situation de handicap a besoin de liens, d’affection et de sexualité. Cependant, la personne dans l’incapacité de bouger les bras et les jambes, comprend qu’elle est sérieusement mise à l’écart, sans passeport ni carte d’embarquement pour prendre le vol des envies et des désirs affectifs et sexuels. Elle est privée de l’expérience du toucher ou d’être touchée, du contact physique, de la tendresse, de la proximité intime et de la nudité sensuelle.
L’association APPAS (Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel), présidée par Marcel Nuss, lui-même en situation de dépendance vitale, interpelle la société sur cette question qui continue à faire débat depuis des années en France, sans que véritablement n’émergent de réponses concrètes.
L’APPAS se donne pour mission « de faire entendre la voix des personnes handicapées souffrant d’isolement et de misère affectifs et sexuels et de leur permettre d’accéder à l’expérience de l’exploration et de la découverte de leur corporéité à travers l’écoute, le toucher, les massages, les caresses et, si c’est leur choix et leur demande, par le truchement de l’accompagnement sexuel. »
Ainsi, en mars 2015, près de Strasbourg, l’APPAS a organisé la première formation à l’accompagnement sexuel, elle a mis en place un programme spécifique pour les accompagnants, elle a soumis à une quarantaine de parlementaires le texte d’un projet de loi qui permettrait de protéger l’activité d’associations qui mettent en relation des accompagnants sexuels avec des personnes handicapées.
Suite à cette formation, l’association a ouvert sur son site www.appas-asso.fr/, une rubrique intitulée : «Vous souhaitez bénéficier d’un accompagnement sensuel et/ou sexuel? ». Celle-ci permet aux personnes qui le souhaitent, de s’inscrire et faire la demande d’un accompagnement.
Pour la première fois en France, nous pouvons analyser des données à partir des demandes et des attentes des personnes en situation de handicap.
L’objet de la présente étude est de faire entendre, sans a priori ni jugement, l’expression du choix, de ce qui est au plus profond de la vie intime de la personne en situation de handicap et de ses proches.
Nous nous appuyons sur notre outil d’observation afin de réaliser une photographie de la population française concernée par cette question. Ce travail, nous permet peut-être de lever le voile et de démystifier la question de l’accompagnement sexuel et de voir un peu plus clair sur un sujet polémique.
La population :
En 2015, c’est-à-dire de mars 2015 à décembre 2015, nous avons enregistré plus de 180 demandes d’accompagnement, 173 fiches indiquaient le lieu de provenance.
La carte suivante indique le lieu et le nombre de demandes par anciennes et nouvelles régions :
Nous observons que l’ensemble des régions de France est concerné par des demandes d’accompagnement avec une forte concentration sur la région Île-de-France avec 44 demandes.
La seconde observation, nous indique que l’association APPAS est visible sur la toile internet, elle commence à être identifiée par les personnes concernées, par les proches et les professionnels.
Les chiffres dans les nouvelles régions :
Alsace Champagne-Ardenne Lorraine = 20
Aquitaine Limousin Poitou-Charentes = 13
Auvergne Rhône-Alpes = 19
Bourgogne Franche-Comté = 7
Bretagne = 8
Centre-Val de Loire = 5
Île-de-France = 44
Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées = 18
Nord – Pas-de-Calais Picardie = 10
Normandie = 6
Pays de la Loire = 11
Provence – Alpes – Côte d’Azur = 12
La suite des résultats :
Nous avons retenu les fiches qui étaient entièrement renseignées, cela représentent 155 situations.
Afin de faciliter la lecture des données, nous avons observé cinq critères :
1- l’âge
2- le sexe
3- le type de handicap
4- le mode de vie
5- le type de la demande
Résultats par critère :
Âge des personnes concernées :
Observations tableau 1 :
La population des personnes qui a exprimé son désir et a sollicité un accompagnement sexuel est composée de personnes âgées de 18 ans à 94 ans.
Les résultats sont en pourcentage.
Il est à noter que la catégorie d’âge de 26-35 ans représente presque le tiers des demandes avec 29%, lui succède les 36-45 ans avec 23%.
Le sexe par tranche d’âge :
Sur l’ensemble des demandes, la population féminine ne représente que 5% des sollicitations, nous observons sur ce tableau que l’essentiel des demandes féminines relevé de la catégorie des 36-45 ans avec 4%.
Le type de handicap :
Afin d’avoir une visibilité sur les différents types de handicaps, nous avons constitué 4 catégories de handicaps, cette catégorisation s’appuient sur les déclarations et les explications apportées par la personne ou son entourage.
Nous avons donc :
a- handicap moteur
b- handicap psychique
c- handicap mental
d- handicap sensoriel
Voici un aperçu des différents types de handicaps indiqués dans les fiches de renseignements:
1- la sclérose en plaque :
Peut porter atteinte au contrôle des mouvements, la perception sensorielle, la mémoire, la parole.
2- la tétraplégie avec ou pas de trachéotomie :
La tétraplégie correspond à la paralysie des quatre membres
la trachéotomie : une ouverture chirurgicale à la face antérieure du cou (au niveau de la trachée) comblée par un petit tube constitué en matière plastique, en métal, ou en caoutchouc « canule » pour faciliter le passage de l’air.
3- l’infirmité motrice cérébrale (IMC) :
Trouble moteur spastique, trouble moteur dyskinétique
4- la paraplégie :
Paralysie plus ou moins complète des deux membres inférieurs et de la partie basse du tronc.
5- l’autisme :
Une perturbation des interactions sociales, des troubles du langage, de la communication non verbale et des activités stéréotypées avec restriction des intérêts
6- la schizophrénie :
Altération profonde du fonctionnement cognitif et social, de l’hygiène, de la régulation des émotions, de la capacité à entreprendre ou planifier des actions centrées sur des buts
7- la bipolarité :
Fluctuation anormale de l’humeur, oscillant entre des périodes d’élévation de l’humeur ou d’irritabilité, des périodes de dépression et des périodes d’humeur normale.
8- la poliomyélite :
Des paralysies flasques et asymétriques.
9- la myopathie de Duchenne :
Une dégénérescence progressive de l’ensemble des muscles de l’organisme
10- l’ataxie ou l’ataxie de Friedreich :
Une pathologie neuromusculaire qui se traduit par des troubles de l’équilibre et de la coordination des mouvements volontaires,
11- le traumatisme crânien :
Les séquelles sont : la fatigue, des difficultés cognitives et émotionnelles, troubles de la mémoire, difficultés de planification, d’organisation, d’inhibition, de raisonnement, de jugement.
12- l’amyotrophie spinale infantiles :
Caractérisée par une faiblesse et une atrophie des muscles,
13- l’arthrogrypose :
Il s’agit de déficiences neuro-motrices et de déformations et raideurs d’articulations constatées à la naissance.
14- troubles associés ou pas à un autre handicap sensoriel :
Aveugle, malvoyant, microcéphalie.
15- handicap mental sans donner de précision
16- spina-bifida :
Développement incomplet de la colonne vertébrale, une faiblesse musculaire des jambes ou une altération de la démarche, déformation des pieds, perte de sensibilité, douleur au dos, apparition de problème d’incontinence urinaire ou fécale.
17- syndrome de Morquio :
Infléchissement de la croissance staturale avec nanisme à tronc court, troubles de la marche, cyphose thoracique
18- syndrome de Bardet-Biedl :
Obésité, des troubles de la vision, des anomalies des doigts, dans certains cas un mauvais fonctionnement des reins et des anomalies des organes génitaux
19- dystonie :
Caractérisées par des troubles moteurs, contractions musculaires involontaires, ceci peut toucher les quatre membres, ainsi que la face, le cou et la colonne vertébrale.
20- syndrome d’asperger :
Des difficultés significatives dans les interactions sociales, associées à des intérêts restreints et/ou des comportements répétitifs.
Tableau des catégories de handicaps par tranche d’âge :
Nous avons utilisé les déclarations sur le ou les types de handicap en données brutes, la personne pouvait avoir un trouble sensoriel avec une déficience motrice par exemple, ou un trouble psychique et une déficience motrice ou encore uniquement une déficience sévère qui l’empêche d’explorer son intimité.
Ce tableau, nous indique que le handicap moteur, en terme de limitation de capacité fonctionnelle, touche toutes les catégories d’âge.
Il s’agit de la capacité physique de se mouvoir, de se toucher ou de toucher l’autre.
Sont concernées, les personnes avec une infirmité motrice et cérébrale (IMC), avec une tétraplégie, avec un spina-bifida, une sclérose en plaque, une paraplégie, etc.
La seconde catégorie de handicap recensée, après le handicap moteur, est représentée par les troubles psychiques, ce handicap se manifeste par les dysfonctions dans l’expression des émotions, de l’affection, de la communication, etc.
Tableau par catégorie de handicap tous âges confondus :
Le handicap moteur est la principale limitation observée tous âges confondus.
Le mode de vie des personnes concernées :
Ce chapitre nous permet d’entrevoir le mode de vie de la personne concernée. Vit-elle seule, en couple, en institution ou avec un ou plusieurs membres de sa famille ?
Assez souvent, les personnes qui ont déclaré vivre seules bénéficient d’une aide humaine : auxiliaires de vie en journée, voire 24 h sur 24, certaines ont déclaré être en couple avec ou sans enfants, d’autres vivent en institutions et enfin celles qui vivent avec un ou plusieurs proches : le père, la mère, les deux parents, la sœur ou le fils.
Il arrive pour certaines personnes d’être en institution la semaine et en famille le week-end.
Tableau par âge et mode de vie :
Les échelles représentent des données brutes :
Ce tableau, nous montre que les 18-25 vivent en majorité au sein de cellule familiale. Par contre, les autres catégories d’âge vivent en majorité seules.
Le tableau suivant nous permet d’avoir un aperçu du mode de vie tous âges confondus :
Sur ce tableau, il est constaté tous âges confondus, qu’une bonne majorité de personnes déclare vivre seule, vient en seconde position les personnes qui vivent en famille.
L’objet de la demande :
Nous avons procédé à l’analyse du contenu de l’objet des demandes effectuées pour ou par la personne concernée
Qui a formulé la demande ? :
La plupart des demandes ont été formulées par la personne concernée. Cependant, certaines personnes avaient besoin d’un tiers pour écrire et exprimer le besoin.
Nous ferons une synthèse de ces demandes, mais nous vous proposons un aperçu des attentes rédigées par les proches de la personne.
Afin d’être fidèle à la formulation et préserver l’anonymat des personnes impliquées et de leur entourage, nous avons retiré les indications pouvant les identifier.
Demande formulée par une maman (pour son fils de 18 ans) :
« J’écris pour mon fils qui m’a demandé mon aide pour découvrir la masturbation. L’objet de ma demande n’est pas une relation sexuelle, juste une aide à la masturbation.
C’est très compliqué pour une maman de recevoir ce type de demande, je savais que ce jour arriverait, mais ce n’est pas mon rôle, bien que je comprenne tout à fait sa demande.
Mon fils entre en classe de terminale, il vit chez nous, il peut recevoir. Nous sommes une famille de 4 personnes, ses parents et sa sœur qui a 14 ans.
Son attente est de pouvoir découvrir son sexe, la masturbation. Je crois qu’il souffre énormément de ce manque depuis quelques années déjà. Il en parle avec son auxiliaire de vie scolaire depuis quelques années, comme nous avons une très bonne relation, cet AVS me fait part de ces conversations, des envies, des doutes et craintes de mon fils. »
Demande formulée par une autre maman (pour son fils de 25 ans) :
« Je suis la maman car mon fils ne peut se projeter sur ce désir qui le rend agressif et malheureux. Il vit chez son père et chez moi, en alternance. L’un et l’autre vivons seuls, possibilité de recevoir.
Mon garçon a simplement un grand désir de caresses. Je suis maman et jamais touché mon fils. »
Demande formulée par une maman ( pour son fils de 29 ans) :
« Bonjour, Je vous écrit pour mon fils, âgé de 29 ans. Il vit en institution spécialisé « MAS » nous pouvons recevoir à notre domicile familial, il est très dépendant d’une tierce personne.
Qu’il apprenne à se masturber.»
Demande formulée par un frère (pour son aîné de 56 ans) :
« Je vous contacte pour mon frère dont je m’occupe.
Il vit seul dans son domicile et peut recevoir, je sais que mon frère a un grand besoin vu que régulièrement il demande aux femmes si elles veulent coucher avec lui, mais vu son état, rien a faire et votre service serait certainement l’idéal. Étant son tuteur je m’occupe de ses besoins. »
Demande formulée par une sœur (pour son frère de 52 ans) :
« Je suis la sœur et je recherche pour lui, car il ne peut le faire, une assistante sexuelle, il a eu un AVC, il y a de cela 5 ans et, depuis, il est en institut, EHPAD (maison de retraite), et son comportement ne va plus car il a besoin de rapport sensuel avec une femme, il ne peut pas se déplacer, il est le plus souvent couché et n’a pas beaucoup de visite à part sa mère et sa famille.
On nous a dit qu’il était possible qu’il reçoive de la visite dans sa chambre, mais nous ne savons pas à qui nous adresser et ce qu’il faut faire, son moral et son comportement nous montrent qu’il est en souffrance de ce côté. Pouvez-vous m’aider à faire quelque chose pour lui ? D’avance, je vous en remercie
Je pense qu’il a besoin de contact physique, de caresses, de toucher une femme et surtout d’échanger un dialogue autre qu’avec sa famille. »
Demande formulée par un papa (son fils de 27 ans) :
« Je suis le papa, il est domicilié dans une maison d’accueil spécialisée (MAS). Il peut recevoir car c’est sa chambre.
Il m’est difficile de répondre à la place de mon fils, mais je pense (je suis son père) que sa frustration est très grande, et que vous dire… je ne sais pas ce qui lui procure une sensation de bien-être et aussi sentir qu’il existe… Merci de votre existence, et bravo… »
Demande formulée par un papa de 68 ans (pour son fils de 28 ans) :
« Mon fils de 28 ans est atteint de la maladie de Steinert. Beau garçon élancé et très mince. Autonome, mais lent et difficultés d’élocution, mais très bon vocabulaire. Sait lire, écrire ; quasiment pas d’amis bien que très sociable, marche mais fatigable. Peut recevoir chez moi. Actuellement au service d’accueil de jour. Il vit le plus souvent chez sa mère. A déjà eu une expérience avec une pro, mais très cher !!
Une nouvelle expérience, mais doit se sentir en confiance. »
(La maladie de Steinert ou dystrophie myotonique est un déficit musculaire, des troubles du rythme et/ou de conduction cardiaque, une cataracte, une atteinte endocrinienne, des troubles du sommeil, une calvitie.)
Demande formulée par une proche sans précision (jeune homme concerné a 25 ans) :
« Je suis Carla, et j’écris pour Michel car il ne sait ni lire ni écrire. Il vit à la maison, fait de nombreuses activités mais n’est pas autonome. Je n’ai pas de nom à porter sur son handicap si ce n’est une forme d’autisme, et Michel est aussi épileptique avec un traitement. Nous pouvons recevoir.
Michel est en demande sans savoir vraiment ce que c’est. Il désire avoir une relation avec une fille. Quelle relation ? Je ne sais pas, mais il veut échanger caresses et plaisir avec l’autre, en tout cas, c’est ce que je comprends. »
Quelle est la demande :
Afin d’avoir un aperçu sur les attentes des personnes en matière de prestation de service liée à la sexualité, nous avons procédé à l’analyse du contenu des différentes réponses apportées à la question : « Qu’attendez-vous d’un accompagnement sensuel et/ou sexuel? »
Nous avons répertorié les expressions et les mots utilisés et exprimés plusieurs fois, ils ont été classés par catégories.
Ceci est un aperçu par catégories des formulations employées :
1- le câlin, le toucher
Il s’agit de toucher le corps de l’autre, de se faire toucher, de recevoir ou de donner des câlins.
Un homme de 22 ans :
« Avant tout avoir un contact tactile avec une femme. »
Un homme de 54 ans :
« Un toucher différent, des caresses des sensations de tendresse. »
Un homme de 64 ans :
« J’aimerais savoir ce que c’est d’être caressé et de caresser un corps de femme malgré mon handicap. J’aimerais si possible avoir des relations sexuelles. »
2- l’Acte sexuel
Les personnes ont exprimé le désir d’avoir un rapport sexuel, voici des exemples de formulations très fréquentes.
Un homme de 63 ans :
« Je voudrais avoir des rapports physiques même peu nombreux alors qu’il me reste encore des possibilités de me mouvoir. »
Un homme de 37 ans :
« Je veux juste avoir la possibilité à 37 ans de découvrir ce qu’est un acte sexuel. »
Un homme de 29 ans :
« D’avoir une relation sexuelle complète avec une jeune femme si possible. »
3- la confiance en soi
Nous avons constaté que, dans certaines formulations des attentes, un lien est établi entre une prestation sexuelle et le fait de retrouver la confiance en soi, d’avoir une assurance en soi et de pouvoir se sentir à l’aise dans l’intimité avec une autre personne.
Pour illustrer ces attentes de confiance en soi, voici les formulations employées par les personnes concernées.
Un homme de 46 ans :
« De retrouver de la confiance en moi,car je ne suis pas très à l’aise lorsque je suis avec une compagne. »
Une femme de 37 ans :
« J’attends d’un accompagnement sexuel de retrouver confiance en moi pour ce corps, sentir et trouver des sensations. »
4- de l’affection et de la tendresse
Contrairement aux représentations et aux idées toutes faites sur la sexualité, celle-ci ne se résume pas à la génitalité, elle est attendue et perçue aussi à travers les émotions, l’affection et la douceur.
Les formulations suivantes nous donnent un aperçu des termes utilisés par les demandeurs.
Une femme de 23 ans :
« Des caresses et des baisers, de la tendresse, de la douceur. Ou de la sexualité. »
Un homme de 50 ans :
« De la tendresse, de l’amour et un partage dans l’exaltation de nos sens. »
Un homme de 22 ans :
« Je ne recherche pas quelque chose d’uniquement sexuel, mais également de la tendresse, de la complicité et de l’intimité. »
5- Le plaisir
Cette demande regroupe les attentes de ressentir du plaisir et/ou de faire plaisir à l’autre.
6- Réincarnation de son corps
Nous avons retenu l’expression du corps ou de la réincarnation, car elle fait référence aux formulations liées à la découverte et à l’appropriation de son corps, avec le désir de prendre conscience et de communiquer avec son corps.
Voici les formulations observées :
Un homme de 44 ans :
« Je cherche plaisir sensuel et sexuel pour apprendre à découvrir mon corps. »
Un homme de 27 ans :
« Du plaisir de retrouver des sensations réapprendre à aimer mon corps. »
7- la stimulation des organes génitaux
Les attentes sur l’activation du plaisir par la stimulation des organes génitaux sont exprimées de deux manières, la première correspond à une demande de bénéficier d’une stimulation pratiquée par une tierce personne, la seconde est liée à l’éducation : apprendre l’autostimulation.
Tableau des différents types de demandes :
Nous avons conservé les données brutes afin d’avoir des tendances sur les attentes exprimées. Il n’est pas facile de traduire et d’interpréter le tableau des demandes.
Nous constatons une concentration des demandes sur l’acte sexuel dans la tranche d’âge des 36-45 ans et par la suite chez les 26-35 ans.
La seconde attente qui est visible, celle de recevoir ou de donner des câlins et du toucher, elle est fortement exprimée de 18 ans jusqu’à 55 ans.
Nous observons aussi deux autres axes avec une forte attente de 18 ans jusqu’à 65, il s’agit de l’affection/la tendresse et la confiance en soi.
Le tableau suivant reprend l’ensemble des attentes tous âges confondus :
Les données affichées sont brutes.
Nous pouvons observer que :
- la première attente exprimée est l’acte sexuel,
- en seconde position, les câlins et le toucher
- en troisième, l’affection et la tendresse.
Conclusion :
Pouvons-nous faire une conclusion ? Pouvons-nous établir une photographie, définir un profil type de la personne concernée et de ses attentes ?
Probablement que chacun de nous peut faire ce portrait, on peut par contre observer que le contenu des questionnaires, c’est-à-dire la voix de la personne concernée, celle des mamans, des papas, de la fratrie et des anonymes, peut générer une gêne, un malaise, de l’empathie et de la compassion.
Il s’agit tout simplement peut-être d’entendre, de voir et de ressentir l’ensemble de ces émotions, de ces souffrances, de ce désarroi et de cette colère pour que l’on puisse parler le même langage, c’est-à-dire le langage des émois.
Il ne s’agit pas de faire des recherches épidémiologiques, génétiques, pour découvrir un quelconque vaccin antivirus d’une infection compliquée et complexe. Non, il s’agit naturellement et sobrement de proposer une réponse humaine aux besoins exprimés.
Nous pourrons faire un résumé à partir de la relecture des différentes demandes formulées par les proches, qui ont su traduire en mots et en « maux » la formulation d’un être humain longtemps dépossédé de ce qui lui permet « d’être » comme tout le monde.
Chacun de nous peut concevoir son propre profil, débattre des « bénéfices/risques » ou encore épiloguer sur les limites de la morale et de l’éthique. La réalité de l’intimité et de la vie affective et sexuelle est celle véhiculée par la personne impliquée et ses proches.
L’association APPAS, à travers son observatoire, poursuivra son travail de vous faire entendre la voix des personnes en situation de handicap et faciliter l’accès à leur intimité.
Akim Boudaoud
psychologue-sexologue
vice-président de l’APPAS
Le mot et le geste
Résumés
Entre fiction et témoignage, cet article rend compte des pratiques sexuelles et affectives de l’un des deux auteurs, Johann Chaulet, atteint de myopathie des ceintures. Par le recours à une méthode auto-ethnographique et la description d’une « nuit » fictionnelle, le récit expose certains des dispositifs humains et technologiques qui façonnent des échanges hétérosexuels en situation de handicap. À travers la singularité d’une situation et d’une configuration, les auteurs interrogent la spécificité d’une relation où la parole soutient et façonne un échange érotique.
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Cet article a bénéficié du soutien matériel et des échanges conduits au sein du programme ANR ETHOPOL (14-CE 29-0002-01)
1Johann Chaulet est atteint de myopathie des ceintures. Sa maladie évolutive, diagnostiquée à l’âge de huit ans, réduit progressivement sa masse musculaire. Il a perdu la marche à onze ans et se déplace en fauteuil roulant électrique. Depuis 2005, il respire la nuit à l’aide d’un appareil de ventilation pour compenser la perte de tonus de son diaphragme et de ses muscles thoraciques. Cette assistance lui est devenue nécessaire en journée à partir de 2011. Il ne peut désormais réaliser que des mouvements fins, et n’a pas la capacité de soulever ses jambes ni ses bras. Johann est accompagné en permanence par quatre assistants qui se relaient toutes les 24 heures. Aujourd’hui âgé de trente-six ans, il est chercheur en sociologie au CNRS, à Toulouse. Avec Sébastien Roux, également sociologue au CNRS, ils ont réalisé en 2014 et 2015 une série de dix entretiens de deux heures afin de penser ensemble la sexualité et l’affectivité en situation de handicap.
- 1 Nous avons choisi de rendre anonymes tous les personnages du récit (à l’exception de Johann).
- 2 Nous entendons le terme dispositif au sens de Michel Foucault ; il s’agit moins d’un dispositif tec (…)
- 3 Nous ne traiterons pas dans cet articule du handicap dit « mental ». Pour une enquête sur ce type d (…)
2Cet article détaille une nuit amoureuse entre Johann et Anna1, avec laquelle Johann a entretenu ces dernières années une relation de quelques mois. Le déroulé est volontairement fictif. La nuit décrite n’a jamais existé comme telle ; elle réunit plusieurs moments intimes, vécus avec Anna ou d’autres femmes. En choisissant de publier un récit qui, s’il est fictionnel, reste fidèle à un vécu sexuel, les auteurs entendent donner à voir le dispositif2 qui façonne une pratique érotique, et les enjeux qui traversent une hétérosexualité où le partenaire masculin est en situation de dépendance physique3. Entre auto-ethnographie et fiction, le récit permet de mettre en question des relations affectives où le handicap physique reconfigure pour partie les rapports de genre.
Vies de couple
3Anna est fatiguée ; il est minuit passé. Elle a envie de se serrer contre moi mais nous n’avons pas encore trouvé de solution satisfaisante pour nous rapprocher lorsque nous sommes ensemble au salon. Assis sur mon fauteuil, isolé par des accoudoirs proéminents, la pipette de ventilation et le moniteur de contrôle de l’appareil, je ne peux pas me serrer contre elle ; l’embrasser est difficile. Enfoncée dans le canapé, elle est trop basse pour que mes lèvres l’atteignent ; installée sur l’accoudoir, elle se plaint de l’inconfort. « On va au lit ? » me propose-t-elle. J’acquiesce. Une fois allongés, nos corps pourront se toucher, sans le fauteuil, les cale-pieds, la pipette… toutes ces entraves qui nous séparent la journée.
4Chaque soir, une vingtaine de minutes m’est nécessaire avant qu’elle ne puisse me rejoindre au lit. Je m’inquiète toujours un peu de ce temps contraint ; je sais trop bien, et elle aussi, que ce rythme peut atténuer le désir. Si la spontanéité ne nous est pas interdite, elle reste limitée par la lourdeur de ma prise en charge. J’appelle d’abord mon assistant, Hugo, pour qu’il m’aide à me brosser les dents avant de me porter aux toilettes. Anna en profite pour se doucher. Avant de fermer la porte de la salle de bain attenante, elle sort les chargeurs dont Hugo a besoin pour brancher les batteries de mon fauteuil roulant et, surtout, de ma machine de ventilation. Dissimulé dans un sac à dos accroché au dossier de mon fauteuil, l’appareil pulse, à intervalles réguliers, l’air que j’inspire par une pipette fixée à un harnais d’épaules. Je ne l’entends plus et n’y prête plus attention ; le respirateur est pourtant là. Son embout translucide capte le regard inquiet de celles et ceux qui me rencontrent pour la première fois. Le plastique dit (de manière un peu trop voyante) la fragilité de mon existence ; il rappelle, à celles et ceux qui, comme moi, seraient tenté-e-s de l’oublier, que ma maladie ne laisse pas de répit.
5Anna et moi avons entamé notre relation il y a quelques semaines à peine. Mais rapidement, et avec l’aide de mes assistants, nous avons pris nos habitudes. Chacun sait ce qu’il doit faire, quand et comment. Hugo me porte dans le lit. Il m’assied pour installer le masque qui me permet de respirer durant la nuit. Mon équilibre est précaire. Le moindre geste déplacé risque de me déstabiliser. Les mouvements de mon assistant sont prudents mais rapides. À mes côtés depuis plusieurs mois maintenant, il a su – à l’inverse de tant d’autres – apprendre à me manipuler sans s’épuiser, répondre à mes demandes sans s’imposer et se rappeler, y compris dans les moments les plus intimes ou les plus joyeux, que notre relation reste avant tout professionnelle. Ce soir, comme deux fois par semaine, c’est donc son employeur qu’il relie au respirateur et qu’il finit de déshabiller jusqu’à le laisser nu dans son lit, prêt à être rejoint par sa partenaire. Moments sans gêne et sans pudeur ; plutôt des habitudes, parfois de la complicité. Alors qu’Anna se glisse sous les draps, entourée de sa serviette, Hugo place au bord de la table de chevet le téléphone avec lequel je l’appellerai dans la nuit, plusieurs fois, pour qu’il me retourne lorsque ma position sera trop douloureuse. Comme souvent à cet instant où il est invité malgré lui dans notre intimité, il ose quelque sous-entendu explicite mais subtil qu’Anna accueille en riant. Elle s’approche et me serre contre elle, comme pour confirmer son intuition. Il balaie la pièce du regard. Tout semble en ordre. Il quitte la chambre, la porte se referme et de trois nous ne sommes plus que deux.
6Je suis ventilé la nuit depuis une dizaine d’années. Lorsque je suis couché, un masque remplace la pipette avec laquelle je respire assis sur mon fauteuil. Ce soir, je veux pouvoir embrasser Anna. Pour libérer ma bouche, j’ai décidé de mettre mon « masque à nez » – la moins encombrante des interfaces. En caoutchouc souple, il envoie de l’air dans mes narines par deux embouts ajustés qui laissent ma bouche et le haut de mon visage libérés. Plus fin et léger, il ne possède pas d’attaches sur le front. La différence est notable avec mon « masque de nuit » qui, lui, est beaucoup plus imposant. Pourtant, je ne peux pas l’ajuster avec autant de précision et m’en servir pour dormir la nuit entière s’avère problématique. Il m’est impossible de gérer correctement les fuites d’air et je suis toujours trop ou pas assez ventilé. Soit mon ventre, gonflé d’air, me fait mal ; soit, manquant d’oxygène, je me réveille essoufflé et assailli de violents maux de tête. Hugo devra donc revenir pour m’installer l’interface adéquate avant que je ne m’endorme ; comme (trop) souvent il faut anticiper et planifier.
7Je sais le poids de ces artefacts sur mes rapports amoureux. Je n’ai de cesse de chercher les nouveaux matériels susceptibles de me faire gagner quelques marges de manœuvre supplémentaires. En fouillant les armoires de l’hôpital, lors de ma dernière consultation médicale dans le service spécialisé de Lyon qui me suit depuis plusieurs années, j’ai découvert un appareillage moins encombrant. L’équipe médicale avec laquelle je travaille s’est habituée à m’écouter mentionner la sexualité comme une dimension qui m’importe, et en fonction de laquelle j’ajuste les dispositifs qui me soutiennent. J’ai hâte d’essayer ce nouvel appareil ; je veux pouvoir m’endormir après avoir fait l’amour sans craindre un réveil désagréable quelques dizaines de minutes plus tard. Mais, pour éviter à Anna des désagréments éventuels, je préfère remettre ce test à une nuit que nous ne passerons pas ensemble. Je me contente donc pour ce soir du masque à nez, un matériel qui a déjà fait ses preuves.
8Je suis allongé sur le dos. Anna s’approche et vient se lover contre moi. « Tu es gelé ! », s’écrit-elle lorsque sa jambe effleure la mienne. Elle commence à me réchauffer. « Tu mets ma main sur toi ? » Elle attrape mon bras gauche et, soulevant sa tête, le fait passer derrière sa nuque d’un geste rapide. « Descends un peu ». Elle se glisse de quelques centimètres le long de mon corps et je peux désormais caresser son épaule sans n’être plus gêné par la douleur. « Mets-moi l’autre main. » Les mains jointes, je m’aide de l’une pour bouger l’autre, en prenant soin de ne pas glisser sur sa peau. Je la serre contre moi, un peu. Comme je peux. L’ajustement de notre position passe par ses mouvements et mes consignes. Elles m’avaient valu quelques remarques amusées lors de notre première nuit. « Tu es un vrai dictateur ! » m’avait alors décoché Anna dans un sourire, alors que je la guidais. Plus qu’un reproche, je pense qu’il s’agissait pour elle d’un moyen d’exprimer l’inconfort relatif d’une demande de contrôle. Cause ou conséquence de cette façon de procéder, ma sexualité est assez dominatrice et j’intime régulièrement des ordres à mes partenaires qui disent prendre du plaisir à les recevoir et à s’y conformer ; j’aime le croire.
9Quelques minutes s’écoulent où je laisse tomber progressivement mes bras et mes doigts pour caresser ses seins. Certains de mes gestes peuvent se dispenser de l’autre en se jouant aussi du hasard, de ce bout de peau, de cette partie de corps qui soudain se trouve à la portée de mes lèvres, de mes doigts. Pourtant, la grande majorité de mes mouvements passe par une demande explicite. J’y suis habitué mais dire mes actions et les soumettre à la volonté d’autrui fait aussi peser sur moi un sentiment d’insécurité. Voir l’autre se dégager d’une caresse ou se dérober d’un geste qui lui déplaît m’a toujours semblé préférable aux refus verbalisés auxquels mes demandes m’exposent. Le mot, s’il intime et exige, fragilise aussi.
10Un jeu de dupe s’instaure alors, que nous acceptons de jouer pour faire « comme si ». Comme si j’étais effectivement celui qui bouge ma main, celui qui prend, qui décide. Et je le suis certainement, souvent. Pourtant mes mouvements et mes actions reposent sur un pacte fragile, les demandes que j’exprime rappelant sans cesse mes incapacités. Quand les rouages sont un peu enrayés, les désirs émoussés ou les corps disjoints, la médiation de la parole et la dépendance du geste rendent certainement le rapprochement plus difficile encore. Du moins, je l’imagine. Cette dépendance me rend vulnérable. Je peux oublier que je m’en remets aux autres, mais c’est toujours un effort ; je ne peux vivre sans l’action d’autrui et la présence ronflante d’une machine. Je suis plongé dans une incertitude latente qui puise aussi ses racines dans mes expériences passées, ces souvenirs de désirs écartés, repoussés, voire discrédités ou moqués. Mais je n’y pense pas cette nuit. Anna est avec moi et nous passons un temps que je veux heureux, un moment qui, s’il requiert des mouvements précis, des manipulations techniques et un dispositif d’appui, n’en reste pas moins un temps de plaisir et d’intimité partagée.
11J’ai maintenant envie de me tourner sur le côté. Je propose à Anna d’appeler mon assistant mais elle préfère se charger de m’aider. Elle s’agenouille sur le lit pour avoir les prises et la force nécessaires à la manipulation. Elle agit avec souplesse et confiance, et témoigne d’une aisance qui me plaît et me touche. Une fois rallongée à mes côtés, elle pose machinalement ma main droite sur sa poitrine. Je lui demande de la descendre. Elle la glisse sur son ventre. « Encore. » Elle rit légèrement lorsqu’elle me demande « là ? » en déposant ma main sur son sexe. Elle sait, par habitude, comment placer mes doigts pour me permettre de la masturber. Je lui demande de « sortir mon pouce » afin de prendre appui sur le bas de son ventre et caresser son clitoris avec mon annulaire et mon majeur, malgré les rétractions musculaires qui contraignent l’amplitude de mes mouvements et limitent la force de ma main. Mes gestes sont souvent sexuels – conséquence indirecte de ma dépendance. Certains raffinements érotiques me sont interdits ; il me serait difficile, par exemple, de caresser le dos de ma partenaire en lui demandant de descendre ma main peu à peu. À l’inverse, j’ai développé d’autres compétences et d’autres envies, et la gamme de mon répertoire s’est élargie avec le temps. Alors qu’Anna m’aide à placer mes doigts, je me demande jusqu’à quel point le geste qu’elle accompagne reste le mien, pour moi et pour elle. Quand elle saisit ma main et la frotte sur son sexe, suis-je en train de la caresser ou est-elle en train de se masturber ? Et que dit cette parole, omniprésente, des rôles que nous jouons ? J’aime penser que les mots qui accompagnent le geste marquent ma volonté et mon désir, et participent de l’appropriation d’une action qui pourrait sinon m’échapper.
12Passant sa main entre mes jambes, Anna me touche à son tour. Elle disparaît sous la couette sans un mot, prenant soin de me laisser couvert – elle sait combien la maladie m’expose au froid. Elle commence une fellation. Je ne peux plus la voir ; les muscles de mon cou ne sont plus assez forts pour diriger ma tête vers mon bassin. Je regrette l’absence de miroir ; il me permettrait de voir une caresse que je ne peux que ressentir et renforcerait l’excitation. J’ai déjà envie de jouir. Ne pouvant pas me masturber, je n’ai pas éjaculé depuis une semaine. Au bout de quelques minutes, je demande à Anna de s’arrêter. Je veux prolonger l’instant et ne pas atteindre trop vite un orgasme. Puisque la plupart de mes gestes nécessitent une intervention que je dois solliciter, je parle généralement beaucoup. J’en suis venu à érotiser la parole, l’ordre parfois. Pourtant mes mots ne sont pas que des consignes ; d’après la plupart des femmes avec lesquelles j’ai entretenu une relation sexuelle, ces mots participent aussi au plaisir qu’elles m’ont dit ressentir et rassurent certaines de leurs inquiétudes. Elles, souvent, parlent moins. Ce soir encore, mes caresses s’accompagnent du récit de mes fantasmes et de mes désirs.
13La respiration d’Anna s’accélère. J’ai envie de voir son sexe. Il m’est souvent invisible, même lorsqu’elle s’allonge nue près de moi. Pour le voir au hasard d’un mouvement de son corps, même subrepticement, il faut que ma tête soit orientée au bon endroit au bon moment. Je lui demande de se poser sur ma main pour voir mes doigts entrer en elle. Elle vient et ajuste nos positions. Voir me donne de nouvelles envies. « Je veux te lécher ». « Non, j’ai la flemme… ». Je renonce. Ma proposition nécessiterait en effet qu’elle quitte la couette chaude pour venir se placer à portée de ma bouche. Je doute souvent du confort de telles positions ; certaines partenaires ont d’ailleurs pu s’en plaindre. Me donner satisfaction est souvent synonyme d’un abandon, voire d’une lutte. Pour elles, c’est aller à l’encontre d’une pudeur qui empêche habituellement l’exposition du sexe ; mais c’est aussi s’en remettre à ma volonté et jouer une fois de plus ce jeu qui fait de mes mots un palliatif. Pourtant, elles ne se doutent pas à quel point l’anticipation de leur inconfort ou la peur de ma maladresse peuvent rendre ces désirs difficiles à exprimer. Non pas qu’un refus serait trop désagréable à entendre, mais il m’est toujours difficile de ne pas craindre que ma partenaire cède à ma volonté plus qu’elle ne suit ses propres désirs. Peut-être un syndrome supplémentaire de celui que l’on sert depuis tant d’années alors qu’il n’a jamais demandé à l’être. L’omniprésence des mots impose des négociations parfois fragiles où l’autorité que je joue, acceptée voire désirée par Anna, participe de nos efforts pour tenter de faire oublier pour quelques instants ma dépendance et mes incapacités.
14Nous passons plusieurs minutes serrés l’un contre l’autre. Elle frotte son sexe contre le mien. Nous ne sommes plus interrompus par le préservatif qu’elle devait mettre en place il y a quelques semaines encore. Nous avons tous les deux passé des tests VIH qui ont confirmé nos séronégativités et Anna prend la pilule. Elle me demande : « on fait l’amour ? ». Elle propose ainsi que je la pénètre. J’acquiesce. J’ai envie de continuer à saisir son regard et je lui demande de s’installer sur moi. Si d’autres partenaires se sont plu à varier à leur guise nos positions, Anna attend habituellement que je la guide et lui dise que faire et comment se placer. Mais, de fait, je ne peux pas beaucoup changer mes manières de la pénétrer. Lorsque nous faisons l’amour dans un lit, et non sur mon fauteuil, je dois toujours me placer sur le dos. Mes muscles sont désormais trop rétractés pour que je puisse la pénétrer sur le côté. Mes jambes, constamment repliées, empêcheraient que mon sexe atteigne le sien. Je ne peux plus non plus m’étendre sur elle comme j’ai eu pu le faire avec d’autres. Le tuyau de la ventilation entrave mes mouvements, et la position est devenue trop inconfortable pour mes partenaires et pour moi.
15« Allonge-toi sur moi ». Suivant mes demandes, Anna déplace mes mains sur son corps. Mes doigts dessinent sur son dos des caresses dont l’amplitude est limitée. Elle m’embrasse longuement, tournant sa tête pour glisser ses lèvres sous mon masque. Malgré mes tentatives pour la rassurer, elle ne peut se départir de l’inquiétude de m’essouffler ; elle continue de craindre un mouvement maladroit. Pourtant, le lit reste un endroit où je ne suis que peu exposé à des manipulations potentiellement douloureuses. Seule la ventilation reste pour moi, pour nous, une préoccupation constante : il faut veiller à la position du masque et à son maintien. Anna ne cesse de me demander si tout va bien et de vérifier que je respire avec aisance. Elle sait parfaitement que ma respiration est devenue plus difficile avec l’effort. Mais, si je m’en accommode, ma réponse trahit malgré moi ma difficulté à respirer et accentue légèrement son inquiétude. Je cherche à la tranquilliser par la parole, encore. « Tu ne me le diras pas de toute façon, si ça ne va pas. » Elle commence à me connaître.
16Anna, assise sur moi, débute des mouvements de bassin. Ma voix donne le rythme en lui demandant d’accélérer, de ralentir, de s’appuyer sur moi ou de se relever. Régulièrement, je l’invite à se pencher pour pouvoir l’embrasser. Je ne cesse de parler et de partager avec elle mes sensations. Elle réagit à mes mots et gémit lorsque je contracte mon sexe pour le pousser plus fort en elle. Anna accélère ses mouvements. Ses yeux me quittent alors que ses gémissements s’intensifient. J’espère qu’elle a joui. À mon tour. J’annonce mon éjaculation, comme toujours. Les quelques mots qu’elle me répond précipitent l’arrivée de mon orgasme. J’éjacule intensément, aussi en paroles.
17Nous restons quelques temps serrés l’un contre l’autre. Anna se redresse et attrape sur la table de chevet un mouchoir en papier ; elle nous essuie tous les deux. Comme souvent, nous en profitons pour échanger quelques remarques amusées et complices. L’humour et la voix participent à désamorcer le malaise qui pourrait accompagner ce moment où le geste amoureux s’apparente presque au soin. Ils permettent aussi de vérifier que le moment fut plaisant. Anna s’allonge maintenant contre moi et passe mon bras autour de son cou. J’attrape son épaule et la caresse doucement alors qu’elle pose sa tête sur mon torse et sa main sur mon ventre. J’aime sentir son corps contre le mien alors que vient peu à peu le sommeil.
18Je veux m’installer sur le côté. Je demande à Anna de composer le numéro de mon assistant. Il apparaît en quelques secondes, après avoir frappé doucement à la porte pour s’annoncer. Son attitude a été définie et discutée au préalable. Lors d’une récente réunion d’équipe, j’ai précisé à mes assistants – tous des hommes – la manière dont je souhaitais qu’ils se comportent en pareille situation. Je connais suffisamment Hugo pour savoir qu’il jouera correctement le rôle que j’attends de lui. Il doit me positionner pour la nuit et me manipuler tout en préservant la pudeur d’Anna. Il soulève d’abord la couette qu’il replie entre elle et moi. Je suis nu et accessible sans qu’Anna ne puisse être vue. Seul le couloir est allumé. La chambre reste dans une pénombre un peu moite. Même si le masque m’isole, je sais que l’air est lourd de transpiration et d’odeurs de sexe. J’ai appris à ne plus être gêné de cette intimité forcée. « Ils travaillent », comme je le répète à Anna. Hugo me tourne rapidement sur le côté. Anna attrape mes mains lorsqu’elles se trouvent à sa portée et y dépose quelques baisers. Je murmure quelques consignes à Hugo pour améliorer ma position. Sitôt a-t-il quitté la pièce qu’Anna se rapproche. Elle pose ma main sur son sein. Nous pouvons dormir maintenant.
S’écrire à deux
19Pourquoi raconter cette nuit, qu’elle soit fictive ou réelle ? Pourquoi décrire ce vécu intime, sexuel et affectif, à la fois banal dans son déroulé et extraordinaire au regard de la condition d’un des deux protagonistes ? Et, surtout, pourquoi se mettre en mots comme chercheur, homme hétérosexuel et myopathe, en optant pour un genre – l’auto-ethnographie – qui brouille à dessein les frontières entre récit, témoignage et écriture scientifique ? (Ellis, 2004 ; Ellis, Adams et Bochner, 2011).
- 4 Voir Delamont (2007) pour un exemple polémique des critiques adressées à l’auto-ethnographie. Certa (…)
- 5 Pour un bref aperçu historique de la méthode, voir Reed-Danahay (1997, p. 4-9).
20L’auto-ethnographie demeure un genre polémique qui, bien qu’il soit de plus en plus utilisé en sciences sociales, continue de susciter des critiques parfois virulentes4. Nous ne souhaitons pas rentrer ici dans la défense ou l’attaque a priori de la méthode – qu’une forme plurielle rend délicate à définir et/ou circonscrire après plus d’une décennie d’interprétations et de propositions variées5 (Bochner, 2012 ; Holman Jones, Adams et Ellis, 2013). Mais, suivant Robin Boylorn et Mark Orbe, cette technique d’écriture nous est apparue utile, en ce qu’elle :
« … [I]nvite le lecteur à entrer dans l’expérience vécue d’un présumé ‘Autre’, et de l’expérimenter viscéralement. [Elle permet] de ‘donner voix’ à des expériences tues ou marginalisées, de répondre à des questions nouvelles sur la multiplicité des identités sociales, de développer des échanges sur et à travers les différences, et d’expliquer l’intersection contradictoire des points de vue personnels et culturels » (Boylorn & Orbe, 2014, p. 15)
21Certes, notre méthode dialogique – par entretiens répétés et récit de vie – ne nous orientait pas nécessairement vers ce type d’écriture. Pourtant ce choix s’est imposé comme une solution a posteriori, permettant un traitement des informations cohérent avec nos ambitions analytiques.
22Deux raisons principales nous ont amenés à opter pour cette forme particulière de récit sexuel (Giami, 2000). D’une part, il nous a semblé que le témoignage long, détaillé, à la fois introspectif et descriptif, permettait d’unir des registres parfois séparés en réinsérant la matérialité des artefacts, des intermédiaires ou des manipulations liées à la myopathie dans le quotidien de Johann. Le récit détaille ainsi les dispositifs (techniques, humains, organisationnels, médicaux, etc.) qui rendent possible les échanges intimes sans jamais les extraire d’un quotidien qui leur donne sens et les travaille, ni les appréhender indépendamment de la subjectivité sur laquelle ils s’exercent. D’autre part – et ce point est lié au précédent –, comme Johann nécessite un appareillage technique et des formes d’assistance particuliers, une écriture moins subjective aurait pu davantage objectiver le pathologique, alors même que nous souhaitons ici nous concentrer davantage sur les agencements intimes et affectifs qui font un quotidien, certes extraordinaire, mais non spectaculaire. De même, la surprise et/ou la curiosité que suscite régulièrement la condition de Johann aurait pu entraîner une écriture – et une lecture – surfant sur l’émotionnalité particulière de l’a-normalité, et provoquer la fascination trouble du « spectacle cruel » (O’Connell, 2012) – une forme de jouissance tératologique cherchant du sensationnel dans l’exceptionnel. Or, ce sont justement les objectifs éthiques, politiques et scientifiques inverses qui nous ont animés. La sexualité de Johann soulève certes des enjeux particuliers sur lesquels nous allons revenir, mais elle dit aussi la banalité relative d’une existence inhabituelle. S’il ne peut se mouvoir aisément, et si cette mobilité restreinte façonne son existence et sa subjectivité, son vécu l’écarte aussi des représentations compassionnelles et/ou tragiques qui accompagnent souvent les discours sur la myopathie, le handicap ou la dépendance. Et le choix du témoignage et du récit (d’une nuit plus que d’une condition) nous a semblé une stratégie scripturale efficace pour décrire l’expérience d’un sujet – et non se centrer sur un individu pour décrire, à travers lui, le traitement d’un objet(le handicap).
- 6 Pour un exemple d’article rédigé à partir d’un entretien unique, voir Roux (2009).
23Ensuite, le récit auto-ethnographique permet de « penser par cas » (Passeron et Revel, 2005), et – paradoxalement – d’extraire le témoignage singulier de sa singularité. Pour le dire autrement, proposer une analyse à partir de cas particuliers amène à traiter le récit de vie, le témoignage, l’autofiction ou l’entretien6 comme un texte dont le sens dépasse l’irréductible singularité de son objet. Son potentiel heuristique ne réside pas dans sa possible généralisation, encore moins dans son exemplarité. D’une part, la pathologie de Johann est exceptionnelle (elle ne touche qu’environ 1 personne sur 200 000), et les dispositifs qui l’entourent (techniques et humains) sont extrêmement spécifiques. Prendre son cas comme le récit « exemplaire » d’une condition handicapée participerait de la croyance – performative – d’une unité dans les « vécus invalides », reproduisant implicitement une dichotomie normalité/anormalité qu’il nous importe de réfuter. D’autre part, et surtout, présenter une situation ou un cas particulier reste une démarche implicitement comparative : la description détaillée permet de pointer des enjeux spécifiques qui se révèlent et prennent sens dans la description minutieuse des expériences vécues, à la fois pour ce qu’elles sont per se, mais aussi pour ce qu’elles diffèrent (des « nôtres » ou des « autres » telles qu’on se les représente). Ainsi, l’autofiction de Johann nous semble signifiante parce qu’elle est conjointement unique et banale ; le récit contient une capacité de révélation et de compréhension dans sa dimension à la fois informative (en donnant un peu plus d’accès à une expérience singulière) mais aussi politique (en déplaçant les surprises et les questionnements habituellement associés aux expériences handicapées).
24Dès lors, il n’est pas surprenant que ce style d’écriture ethnographique – bien qu’encore relativement peu usité en France – ait un succès relatif dans le sous-champ des Disability studies. Faye Ginsburg et Rayna Rapp citent notamment, dans leur article de synthèse sur ce domaine de recherche (2013, p. 56), l’ouvrage de Murphy sur sa tumeur de la colonne vertébrale et le processus de marginalisation qu’il expérimente au fur et à mesure que sa maladie le paralyse (2001) ; ceux de Jackson (2000) et Greenhalgh (2001) sur la souffrance chronique ; ou les recherches de Martin sur la bipolarité, maladie dont elle est elle-même atteinte et qu’elle enquête en articulant récit personnel et recherche ethnographique (2007). On pourrait rajouter d’autres récits et témoignages, notamment par exemple le livre qu’Eve Kosofsky Sedgwick a rédigé lorsqu’elle a entamé une thérapie pour dépression liée à un cancer du sein (2000). Ces exemples, très divers, montrent comment le récit autobiographique a pu nourrir la réflexion sociologique sur la maladie et ses implications, et que la porosité des frontières entre science et littérature peut bénéficier aux deux arts.
- 7 Sur la notion d’autofiction, l’emmêlement du réel et de l’imaginaire, ainsi que les jeux narratifs (…)
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25Cependant, dans notre configuration, le choix du récit autofictionnel a pour partie oblitéré la forme du dispositif d’enquête. En effet, et contrairement à la plupart des récits auto-ethnographiques, le texte proposé émerge d’un échange dialogique entre deux chercheurs, dont l’un est effacé d’une scène dont il était absent – par le choix narratif du témoignage (auto)fictionnel7. Certes, et comme l’écrit Daniel Fabre, le genre auto-ethnographique s’est formalisé comme « exercice solitaire » – l’auto-ethnographe étant « celui qui entreprend, en combinant, éventuellement, sa mémoire et celles de ses contemporains, de décrire de son propre point de vue le monde social et culturel auquel il a participé » (Fabre, 2002, p. 28). Or le récit proposé n’est pas le produit d’un travail solitaire, ni même le reflet d’un point de vue unique. Heewon Chang, Faith Wambura Ngunjiri et Kathy-Ann C. Hernandez ont proposé récemment le terme « d’auto-ethnographie collaborative » pour caractériser ces situations où « l’étude de soi est conduite en compagnie d’autrui » (2012, p. 17). Sans reprendre nécessairement le terme à notre compte, ni nous inscrire dans les typologies que les auteures suggèrent8, nous avons pensé ce récit de telle sorte que le « je » du narrateur – Johann – ne reproduise pas le « nous » des scripteurs, et que le témoignage autofictionnel s’apparente davantage à une fiction ethnographique où le « point de vue » exposé par l’un des protagonistes – Johann – résulte pour partie d’une maïeutique du dialogue entre deux chercheurs – Johann Chaulet et Sébastien Roux9.
Dépolitiser/repolitiser la sexualité et le handicap
26L’autofiction nous a également permis de se décentrer pour partie des débats relatifs à « la sexualité handicapée » qui, en France, s’organisent principalement autour de « l’assistance sexuelle » (Brasseur & Detuncq, 2014) et d’oppositions morales autour de la sexualité tarifée. Quatre formes peuvent actuellement être distinguées. (I) La première, tenue notamment par les grandes associations du handicap (APF, AFM, GIHP…) et, plus particulièrement, certains de leurs membres réunis au sein du collectif Ch(s)ose prône une exception dans la loi sur la prostitution, et vise à la reconnaissance d’un droit à la sexualité pour les personnes handicapées, y compris lorsqu’elle implique un professionnel de l’assistance sexuelle – traitée ici moins comme une personne « prostituée » qu’un agent fournissant un service exceptionnel. (II) La défense de l’assistance sexuelle a pu prendre une forme plus militante, incarnée notamment par les prises de position de Marcel Nuss (2012 et 2014) en faveur de l’intégration de l’assistance sexuelle dans le projet politique plus vaste : la reconnaissance d’un travail du sexe. (III) Par ailleurs, décentrant légèrement le débat sur le travail sexuel, certaines prises de positions défendent aujourd’hui l’assistance sexuelle comme soin – par un retour au modèle médical (voir Blanquier et Dufour, 2012) ; mais le « soin » envisagé impliquerait également la rémunération de son/sa pourvoyeur-e. Ainsi, malgré leurs variations, ces positions se rejoignent dans la défense d’un « droit » des personnes handicapées au plaisir sexuel, et défendent la possibilité du recours à un tiers rémunéré. Elles s’opposent ainsi directement aux arguments abolitionnistes – tenus y compris par des associations « handies » comme « Femmes pour le Dire, Femmes pour agir ». (IV) Pour ces collectifs, l’assistance sexuelle s’apparentant à une forme de prostitution, la dignification des personnes handicapées ne peut passer par « l’exploitation sexuelle » de tiers, et nulle exception ne peut s’appliquer à la condamnation de la prostitution per se et de sa violence supposée. On le voit, et quelques soient leurs variations argumentaires, le débat autour de la sexualité handicapée tend à se structurer autour d’une opposition éthique sur la commercialisation du plaisir sexuel, saisi soit comme un « soin », un « service » ou un « travail », soit comme une forme d’exploitation et d’avilissement.
27Or la sexualité de Johann – dépeinte à travers sa relation avec Anna – déplace les représentations habituellement associées à la structure même du débat français. D’une part, elle invite à considérer les « transactions intimes » (Zelizer, 2001) qui traversent sa nuit avec Anna en dehors de la contractualisation d’un service sexuel. En effet, si l’argent est présent et facilite la réalisation d’un échange sexuel, il circule entre Johann et ses assistants et non pas entre Johann et sa partenaire – suivant le rapport salarié hiérarchique qu’il a instauré. Si un « travail » est nécessaire à la satisfaction d’un désir sexuel, il ne s’exerce pas comme service sexuel proprement dit ; mais son existence, intermittente mais nécessaire, rappelle que l’intimité de Johann et Anna ne peut échapper longtemps au regard d’autrui, aux interventions et aux manipulations, recomposant constamment leurs interactions et la manière dont ils négocient leurs rapports. Ensuite, en faisant le choix de montrer un quotidien accepté, certes organisé et technique, mais susceptible de laisser s’exprimer une sexualité et une affectivité heureuse et partagée, nous avons souhaité montrer que la maladie ne définit pas le malade de manière univoque ni ne le réduit à sa condition. Ainsi, le récit de la nuit entre Johann et Anna s’inscrit également dans une certaine tradition des Disability studies où le handicap est davantage saisi comme une dimension de l’existence plus que sa limite, et la marque d’une gestion sociale différenciée de la variété des corps plus qu’une réalité objective et quantifiable (Shakespeare, 1998).
Incapacités, masculinités, handicaps
28Comme le rappellent Russell Shuttleworth, Nikki Wedgwood et Nathan Wilson (2012, p. 174), le handicap est socialement perçu comme une incapacité et une dépendance qui rentre en opposition avec la définition de l’idéal viril (Ash et Fine, 1988). « Le corps atteint d’incapacités physiques, dans sa déviance par rapport à la normalité attendue, complique les performances de genre » (Scott, 2014). Or, lors de cette nuit amoureuse, les attentes (et les désirs) en termes de prise d’initiative, de pratiques érotiques ou de sexualité pénétrante ne cessent de s’exprimer de part et d’autre dans le respect relatif des attributs de genre. La temporalité de l’interaction et le respect des scripts hétérosexuels majoritaires témoignent de la prégnance et de la permanence de ces désirs distincts et distinctifs. Johann « pénètre » quand bien même il ne peut bouger le bassin ; sa jouissance termine souvent l’interaction ; et c’est le coït vaginal qui marque alors, pour Anna, le début du « véritable » acte sexuel (« tu veux faire l’amour ? »).
29Pour autant, la stabilité de l’inégalité ne signifie pas l’insignifiance du handicap. Comme l’écrit Connell, « la matérialité compte (…) Les corps jouent substantivement un rôle dans les pratiques sociales » (2005, p. 58). Pour Johann et Anna, la maladie introduit un coin dans la permanence pesante des assignations, ne serait-ce qu’en imposant le dialogue dans l’interaction entre les partenaires et en invitant à une renégociation partielle des rôles et des répertoires. Pour Shuttleworth, c’est même une condition nécessaire à la sexualité : « les hommes handicapés qui ont du succès en amour adoptent une identité de genre flexible et étendent leur répertoire masculin d’idéaux et de pratiques incorporées et interpersonnelles au-delà de celui de la masculinité hégémonique. » (Shuttleworth, 2004, p. 166). Ici, entre Johann et Anna, l’échange sexuel est travaillé par une intégration renforcée de la parole qui agit sur leurs identités et leurs rôles de genre. En effet, si les mots de l’un dirigent les gestes de l’autre – et maintiennent Johann et Anna dans leurs rôles respectifs – c’est leur existence même, rendue nécessaire par la condition de Johann, qui facilite l’invention de modes d’expression originaux et rend possible l’interaction. Ainsi la parole, produite par un rapport inégalitaire, qu’elle reproduit dans le dialogue, engendre aussi une configuration relationnelle inédite qui ouvre de nouvelles opportunités. Cette configuration – ici intensifiée par la sexualité – repose pour partie sur la compensation des incapacités (permettre, rendre possible, faciliter…) et sur l’effort – subtil mais constant – que requiert l’ajustement des partenaires (agir comme, faire en sorte de etc.). Or ce travail – de soi (en s’ajustant à la situation et à l’autre) mais aussi de l’autre (en ajustant l’autre à la situation et à soi) – appelle aussi une érotisation du handicap. La dépendance limite et la maladie réduit les possibilités corporelles de Johann. Mais les contraintes qu’elles font peser sur les deux protagonistes deviennent aussi une ressource érotique qui rend possible, voire facilite, l’échange amoureux.
- 10 Notre analyse peut sur ce point être confrontée aux travaux de Pierre Dufour pour lequel tenter d’a (…)
30Cette érotisation prend des formes multiples, variant selon les lieux, les moments mais aussi les partenaires (avec leurs physiques, leurs désirs ou leurs sexualités propres). Elle porte sur les corps comme sur les configurations. Elle est liée aux manipulations techniques et à l’investissement qu’appelle la fragilité de certains organes de Johann (cou, articulations, etc.), mais aussi aux possibilités offertes par une mobilité réduite (plaisir de l’intervention, érotisation du regard et de la parole, jeux de pouvoir liés à la remise de soi, etc.) Elle inclut parfois des tiers – humains ou non-humains – dans les jeux érotiques (place délicate des assistants, gestion du masque ou du fauteuil, présence constante d’artefacts médicaux, etc.) Là encore, les mots participent directement de l’érotisation des incapacités. L’érotique du handicap est moins un donné qu’un construit ; c’est le résultat d’un travail et d’un processus qui transforment une limite objective en ressources et en potentialités. Il ne s’agit pas ici ni de quantifier ni de qualifier ces potentialités – au risque de les mesurer inconsciemment à l’aune d’une représentation d’une « normalité-étalon » située du côté de la « validité ». Mais elles invitent déjà, comme telles, à déplacer pour partie le regard habituellement porté sur la sexualité handicapée et, au-delà, sur la subjectivité dépendante. Encore une fois sans nier la diversité des situations ni occulter les difficultés engendrées par la maladie – à chaque fois vécue et expérimentée différemment –, penser la capacité d’agir sexuelle de Johann (et, ici, d’Anna) à partir des possibilités issues de la contrainte (Wardlow, 2006) rend compte des capacités d’innovation des sujets, et des formes d’ajustements créatifs qu’ils déploient. Ainsi, la dépendance, si elle place les individus dans une situation de vulnérabilité et affecte leurs relations à eux-mêmes et aux autres, « n’invalide » pas ; elle transforme plutôt, et peut appeler à des recombinaisons génératrices d’agencéité et d’émancipation10.
Du pouvoir des mots
31À partir du récit proposé, nous aurions pu détailler de multiples dimensions de l’échange amoureux – comme le dispositif technique qui accompagne les protagonistes, la place subtile des assistants qui participe aux interactions sexuelles, ou la sollicitude d’Anna et sa gestion affective et corporelle de la dépendance. Mais nous souhaitons revenir plus précisément sur la place des mots dans l’interaction amoureuse et interroger la place genrée des paroles, de l’invite et de l’ordre dans la gestion de l’interaction sexuelle.
- 11 C’est bien la nécessitédes mots qui différencie pour partie ces échanges d’autres configurations s (…)
32Johann ordonne. « Viens, fais, bouge, place… » ; autant d’impératifs qui disent la volonté d’une action empêchée, affirment une place qui se veut dominante dans l’interaction et délèguent – dans le même temps – la réalisation concrète de l’interaction sexuelle. Anna vérifie. « Ça va ? Comme ça ? Tu veux ?… » Inquiétudes d’une partenaire en charge – par défaut – de la conduite d’une interaction. Bien sûr, ces propos inégaux s’accompagnent d’échanges plus subtils, doux et négociés – questions, promesses, inquiétudes, désirs, etc. Mais, dans un contexte contraignant où la parole reste le mode de communication privilégié par les amants, Johann demande à Anna le soutien nécessaire afin qu’il ne se fasse pas déposséder d’une capacité d’action (genrée) qui lui échappe pour partie. Ce rapport se nourrit par ailleurs d’un statut différent accordé aux mots dans l’interaction et la relation. Pour Johann, il constitue un invariant de la sexualité puisqu’il en est une condition. Pour Anna – et les autres partenaires avec lesquelles Johann a pu nouer des relations – le verbe s’apparente davantage a un ingrédient original, voire inédit, de la sexualité qu’elle(s) partage(nt) avec lui et qui le distingue encore un peu plus. Le verbe masculin devient ainsi un moyen d’agir, de saisir et de prendre que les deux partenaires reconnaissent et appréhendent comme tel, suivant un accord tacite qui reconnaît au mot une prééminence relative sur le geste (à l’inverse des interactions sexuelles majoritaires) 11.
33La sexualité en situation de handicap traduit la force d’un « ordre du genre » (Clair, 2008) qui maintient les protagonistes dans des positions hiérarchisées. En effet, même dans une situation où le partenaire masculin se retrouve objectivement empêché par une mobilité quasi nulle, une succession d’accords et de micro-négociations jalonnent le déroulement de l’acte sexuel pour compenser une incapacité motrice. Entre incertitude, fragilité, désir et souci de l’autre, se réitère un accord tacite visant à permettre à chacun des partenaires de jouer le rôle qui « doit » être le sien. Dans cette forme d’hétérosexualité, l’action masculine en situation de dépendance nécessite la médiation directe de la partenaire féminine qui, en acceptant de faire « comme si », devient partie prenante de ce que l’autre fait et lui fait. Mais elle reste, paradoxalement par son accord et son action, limitée par sa soumission partielle à un désir extérieur – l’agissante, volontaire et consentante, devient aussi pour partie exécutante. La capacité d’agir de Johann, physiquement limitée, s’étend par le mot. À l’inverse, celle d’Anna – à la mobilité supérieure – se retrouve réduite par l’acceptation d’une gestuelle déléguée. Ainsi, dans un moment où deux agencéités entrent en lutte et en contradiction, le genre – comme assignation et hiérarchisation – ordonne l’interaction et redistribue les capacités relatives en respectant la prééminence d’une masculinité hégémonique (Connell, 2014 ; Gourarier, Rebucini et Vörös, 2015).
34Ainsi, en disant ses désirs, en ordonnant sa volonté, en s’imposant pour partie par la voix, Johann compense une mobilité affaiblie. Certes, lorsqu’il s’exprime, il s’expose aux refus et – comme tout maître – voit son autorité dépendre de la reconnaissance de celle qui s’y soumet. Les sentiments, les désirs, les plaisirs font de ces négociations répétées un moment intime, pensé comme extérieur au pouvoir. Pourtant, les deux amants ne vivent pas leur sexualité en dehors du cadre inégal qui structure l’hétérosexualité, et qui affirme la prééminence du masculin sur le féminin. Et les logiques compensatoires qui se déploient visent pour partie à aligner chacun des protagonistes sur des représentations de genre idéalisées : à l’homme l’initiative, la maîtrise, la gestion de la temporalité, la satisfaction sexuelle ; à la femme l’acceptation, le soin, le service, la mise à disposition. Pour autant, la remise de soi verbalisée qu’implique la dépendance de Johann ne conduit pas qu’au renforcement de la domination masculine. Elle est aussi, et dans le même temps, une vulnérabilité productive qui ouvre – pour Johann et Anna – des possibilités et des potentialités nouvelles (Shuttleworth, 2012). La voix, le mot, le verbe de Johann compensent une incapacité et demandent le geste d’Anna. Toutefois, ils n’impliquent pas nécessairement l’obéissance, et – surtout – ils invitent les deux amants à des ajustements constamment négociés. Ni reproduits ni inventés, ces moments intimes mettent en confrontation deux individus différemment contraints. À la fois vulnérables et capables, ils s’adaptent ainsi à un cadre où le handicap – comme le pouvoir – limite. Mais il ouvre aussi des possibilités nouvelles et permet, paradoxalement parce qu’il empêche, d’offrir des capacités et des opportunités propres aux sujets qu’il contraint.
Retour(s) sur soi
35Si la sexualité ne se limite en rien à un phénomène subjectif et individuel, une analyse centrée sur le vécu et la singularité des expériences, notamment handicapées (Shuttleworth, 2012), permet de mettre au jour la dimension évolutive et re/négociée des agencements intimes. En se concentrant sur une nuit fictive entre Johann et sa partenaire d’alors, Anna, nous avons souhaité décrire et penser des formes de sexualité qui, si elles sont commentées et discutées dans certains espaces militants ou associatifs, n’en demeurent pas moins généralement peu visibles, surtout dans leur réalisation concrète. La description de ces échanges nous a permis d’interroger le poids de la parole et de l’expression verbale dans un contexte où les attributs de genre – sans être bouleversés – vacillent, appelant à une renégociation des rôles de chacun.
36Notre choix méthodologique – l’auto-ethnographie fictionnelle – nous est apparu comme une ressource utile pour décrire la diversité des pratiques et des dispositifs qui traversent le quotidien affectif des personnes handicapées et de leurs partenaires. Pour autant, par sa forme même, le récit soulève deux limites principales. La première tient à la spécificité de la maladie de Johann, qui contraste avec son intégration dans la catégorie faussement homogène des « personnes handicapées ». Au-delà de l’appartenance à la catégorie clinique des « invalides » ou des « anormaux », qu’est-ce qui unit un sourd-e ou un-e tétraplégique – au sens des expériences vécues ? Un-e aveugle ou une personne atteinte du syndrome de Down ? Un-e schizophrène et un-e myopathe ? Comment et pourquoi penser conjointement des formes de vies très disparates dont l’association est pour partie le produit d’une catégorie de sens commun construite en opposition dialectique à la fausse normalité des « valides » ? Ces interrogations pourraient paraître d’autant plus légitimes que nos questionnements touchent à une intimité et une sexualité qui requièrent, en fonction des situations, des agencements particuliers ; or notre méthode ethnographique ne permet pas a priori de comparer la vie de Johann à d’autres existences « invalides ». D’ailleurs, les agencements privés mis au jour constituent une forme spécifique et personnelle d’accommodement dont l’application dans une situation différente ne saurait mécaniquement produire les mêmes effets. Si Johann ne peut se plier physiquement à la définition hégémonique de la masculinité virile, son corps, ses moyens financiers, son éducation, ou tout autre forme de capitaux matériels et symboliques constituent, dans une certaine mesure, les conditions de possibilité de ces arrangements tout comme ils lui permettent par ailleurs de satisfaire nombre d’exigences communément attendues dans le cadre des rapports de séduction. Pour autant, la singularité du « cas Johann » nous apparaît comme une force plus qu’une limite. La démarche ethnographique appliquée à un seul et unique individu affecté par une pathologie très spécifique révèle des enjeux qui, s’ils ne sont pas équivalents à des situations non analogues, traversent des configurations bien plus larges que celles que nous avons détaillée (comme le rapport à autrui, la négociation verbale, la fluidité des attributs de genre, la présence des artefacts et des tiers, etc.)
- 12 Pour un examen détaillé des travaux portant sur l’évolution des sexualités au fil des âges et des e (…)
37Si la première limite du récit autofictionnel tient à son unité de « lieu » (la vie de Johann voire, dans le cas décrit, son univers domestique), la seconde relève davantage de son unité de temps. En se concentrant sur une seule nuit, nous nous sommes contraints à passer sous silence la dynamique des agencements. Une approche plus diachronique, à l’inverse, aurait permis de mesurer la manière dont la sexualité se construit et se reconstruit, à mesure de l’expérience, dans le cadre d’agencements impliquant des corps changeants et/ou pour lesquels évoluent les dispositifs de prise en charge. Ce souci est d’autant plus présent que la maladie de Johann est évolutive et entraîne des bouleversements concrets qui impactent la gestion des relations et de la sexualité. Et les façons de composer avec ces éléments nouveaux qu’introduit progressivement la maladie sont, elles aussi, en évolution constante (perte de la marche, impossibilité grandissante de soulever des objets, dépendance et appareillage respiratoire nocturne puis diurne…). Or, ce processus induit une transformation particulière de la sexualité au « cours de la vie » (Rossi, 1994)12 qui ne transparaît pas dans notre récit, nous empêchant pour partie de saisir certains des mécanismes à l’œuvre dans des formes de sexualité pourtant empreintes de l’incertitude inhérente à la maladie.
38Cette limite s’est d’ailleurs révélée dans la dynamique de la recherche et de l’enquête. En effet, la distance et la temporalité particulière de l’écriture nous ont fait mesurer, au moins en partie, les effets performatifs de la réflexion sur les expériences intimes associée à la mise en récit de soi. Concrètement, le dialogue que nous avons engagé comme chercheurs, s’il n’a pas initié le processus de réflexion, a participé à l’évolution de la sexualité de Johann. Paradoxalement, Johann Chaulet ne vit plus aujourd’hui la sexualité sur un mode identique à celle dont il témoigne, pour des raisons qui tiennent à l’évolution de sa maladie mais, surtout, aux effets intimes d’une objectivation partielle de ses désirs et de ses pratiques. Ainsi, nombre d’éléments présentés ici doivent être moins appréhendés comme les caractéristiques stables d’une sexualité qu’une forme dynamique où les pratiques et les dispositifs sont redéfinis, recomposés et repensés, tant dans leur nature que dans leurs mises en forme.
39Parmi les raisons qui expliquent ces évolutions, Johann insiste aujourd’hui sur les effets individuels du témoignage, d’abord dans le dialogue, ensuite dans le récit. Pour lui, et suivant Tom Shakespeare, la sexualité « nécessite de l’estime de soi… Alors que les personnes handicapées, systématiquement dévaluées et exclues par les sociétés occidentales modernes, ne sont souvent pas en situation d’entamer cette tâche d’amour de soi » (Shakespeare, 2000, p.161). La mise en mots a participé de l’affirmation d’un nouvel « amour de soi », un processus où s’est « musclée » la défense d’une identité singulière – offrant à Johann d’autres ressources pour résister aux épreuves que constituent les nouvelles incapacités liées à l’évolution de sa pathologie chronique. Concrètement, et comme le suggère Pierre Dufour, Johann cherche aujourd’hui davantage à s’approprier des codes et des formes érotiques originaux, qui intègrent le handicap sans tenter de le faire disparaître (Dufour, 2013, p. 65) Ce travail implique et nécessite l’adhésion – plus ou moins consciente et volontaire – d’un tiers qui participe activement à l’intégration des incapacités dans le répertoire sexuel, y compris en adossant ce processus à l’adaptation des dispositifs. Ainsi, faire l’expérience répétée d’une sexualité avec et dans le handicap, appelle à reconsidérer des propos et des conduites – de soi ou des autres – qui traitaient certaines incapacités comme des limites indépassables.
40Une forme de désenchâssement s’est opérée dans la vie de Johann. Son handicap n’est plus tout sans être moins ; s’il façonne toujours sa sexualité, comme son existence, il refuse d’en faire le responsable de l’échec ou de la réussite de ses relations, intimes notamment, comme il a parfois été tenté – voire invité – à le faire. Aujourd’hui, par exemple, il s’investit différemment dans les rapports de séduction, et anticipe différemment les réactions que peuvent susciter son corps. Désormais, comme le handicap n’est plus quelque chose qu’il s’agit d’oublier et de faire oublier, mais bien davantage une dimension de son existence avec laquelle il est possible de composer, la maladie devient un élément parmi d’autres qui le constituent comme personne, qui façonnent son identité, et qui peuvent, légitimement, participer de la séduction et de l’intérêt qu’il suscite. Et Johann de conclure avec ses mots : « je ne veux pas qu’on m’aime malgré mon handicap, mais je ne veux pas qu’on oublie mon handicap. J’ai des incapacités et cela a des conséquences, mais je n’aspire pas à leur invisibilisation. Je fais avec, et cela me va que l’on fasse avec. »
Bibliographie
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Notes
1 Nous avons choisi de rendre anonymes tous les personnages du récit (à l’exception de Johann).
2 Nous entendons le terme dispositif au sens de Michel Foucault ; il s’agit moins d’un dispositif technique que de l’ensemble du dit et du non-dit qui produit un mode de gouvernement spécifique (Foucault, 1971). L’usage du terme permet de penser conjointement les protagonistes, les intervenants extérieurs, les outils techniques, les discours, les logiques idéologiques, les rapports de pouvoir, etc.
3 Nous ne traiterons pas dans cet articule du handicap dit « mental ». Pour une enquête sur ce type de dépendance, et les enjeux particuliers qu’elle soulève, voir notamment Diederich (1993), Gruson (2003), Nayak (2014a, 2014b) et Velche et Diederich (1979).
4 Voir Delamont (2007) pour un exemple polémique des critiques adressées à l’auto-ethnographie. Certaines voix se sont même récemment fait entendre pour remettre en cause l’ethnographie (ou plutôt son usage jugé abusif), et ont pu s’appuyer sur le récit auto-ethnographique pour renforcer leur critique afin d’exemplifier le « excès » des approches « subjectivistes » (Ingold, 2014).
5 Pour un bref aperçu historique de la méthode, voir Reed-Danahay (1997, p. 4-9).
6 Pour un exemple d’article rédigé à partir d’un entretien unique, voir Roux (2009).
7 Sur la notion d’autofiction, l’emmêlement du réel et de l’imaginaire, ainsi que les jeux narratifs qui traversent une écriture de soi où les « je » du scripteur, du protagoniste et du narrateur s’imbriquent sans se superposer, voir Doubrovsky (1988).
8 Leur ouvrage se caractérise par une recherche de classification et de systématicité qui nous semble assez contradictoire avec le projet d’écriture fluide et d’agencements pluriels qui caractérise le genre.
9 Pour Georges Devereux « un entretien sur la sexualité, même s’il s’agit d’une interview scientifique est, en lui-même, une forme d’interaction sexuelle qui peut, dans certaines limites, être entièrement vécue (lived out) et résolue sur un plan purement symbolique et verbal » (1980, p. 160, cité in Giami, 2000, §6).
10 Notre analyse peut sur ce point être confrontée aux travaux de Pierre Dufour pour lequel tenter d’atteindre à tout prix les standards du modèle « valido-viril » ne peut être synonyme que d’aliénation pour des « handis » dont l »émancipation repose au contraire sur l’invention de modèles alternatifs dont il sera admis qu’il ne seront pas d’une valeur moindre que celle de la masculinité valide hégémonique (Dufour, 2013).
11 C’est bien la nécessité des mots qui différencie pour partie ces échanges d’autres configurations sexuelles où la parole participe de l’érotique – y compris sur le mode de l’ordre et de la commande. Ici, les mots, s’ils sont érotisés, sont autant une action qu’une condition de l’action.
12 Pour un examen détaillé des travaux portant sur l’évolution des sexualités au fil des âges et des expériences, voir la revue de travaux proposée par Laure Carpenter (2015).
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Référence électronique
Johann Chaulet et Sébastien Roux, « Le mot et le geste », Genre, sexualité & société[En ligne], 17 | 2017, mis en ligne le 01 juin 2017, consulté le 08 février 2019. URL : http://journals.openedition.org/gss/4021 ; DOI : 10.4000/gss.4021
Haut de pageCet article est cité par
- Brasseur, Pierre. Nayak, Lucie. (2018) Handicap, genre et sexualité. Genre, sexualité et société. DOI: 10.4000/gss.4362
Auteurs
Johann Chaulet
Chargé de recherche au CNRS, LISST-Cers
Sébastien Roux
Chargé de recherche au CNRS, CNRS LISST-Cas
Articles du même auteur
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