Octobre 2018

Octobre 2018, un autre tour d’édito me revient et me revient aussi le souvenir du précédent, que j’avais consacré aux demandes (quasi inexistantes) d’accompagnements provenant de femmes.

En dépit de mes exhortations à les faire sortir du bois, ces femmes qui n’osent pas se lancer dans la démarche tout en ayant, on le suppose, les mêmes envies que la population handicapée masculine, je dois, un an après, non pas faire le même constat mais pire encore.  Le peu de demandes que nous enregistrions alors a encore diminué.  Je me garderai donc d’un nouveau plaidoyer inutile, à moi seule je ne peux rien contre les causes qui font que demeure cette invisibilité, en revanche et puisque la condition des femmes me tient à cœur, je poursuis sur ma lancée…

Car, nous dit-on, depuis douze mois la Cause des Femmes aurait engrangé quelques patentes avancées. Le binôme Me Too/Balance Ton Porc notamment,  qui, au-delà des formes plus ou moins heureuses et discutables dans lesquelles son déchaînement s’est exposé, aura œuvré à ce que certaines expriment des faits tus depuis des lustres.

YOUPI.

Reste à savoir si le vacarme influera sur les comportements des hommes à venir…

Mais ne dévions pas.  Réjouissons-nous plutôt d’une autre manifestation de progrès, en l’usage de plus en plus étendu de l’écriture inclusive.  Ah oui, en voilà une belle invention !  Et des plus urgentes.

Voyez donc.   C’est qu’on se gratte la tête dans les officines du Paris lettré pour savoir s’il faut écrire auteur et auteure, agent et agente, professeur et professeure, dire ton tricycle, mon marteau et ta bagnole sont-elles neuves ? Ne plus dire Droits de l’Homme mais Droits Humains (Euh… Et pourquoi pas Droits de la Femme alors ?…) etc. et j’en passe.

Cher-e-s accompagnant-e-s, curieux, curieuses, demandeurs, demanderesses, simples lecteur-trice-s intéressé-e-s (ça va vous avez pas mal aux yeux ?) de cet humble feuille de chou, habituez-vous à lire différemment !

Toutezétous réjouissez-vous, le masculin n’est plus dominant !! (Ah ???) Ben si puisqu’on vous l’dit enfin ! Le pouvoir qu’ils exerceraient encore, les mecs ? La belle affaire ! Oublié tout ça !  Nous voilà sauvé-e-s par quelques traits d’union et des terminaisons ridicules.   Personnes handicapé-e-s souriez ! La victoire est au bout de cette parité tout-e droit-e sortie de quelques cerveaux rétribués pour faire évoluer la langue. Mais attention ! C’est pas un truc juste comme ça, un débat mondain de vieux schnocks comme on dirait, non non, ça se veut abolir la discrimination de genre et les réflexes de quelques centaines d’années de machisme, une broutille.

Ben quoi c’est pas vrai peut-être ?

Mais si ! Allez, un p’tit tour de passe-passe en fins de mots et hop, les rapports de sexe sortent tout neufs du chapeau, ripolinés en moins de temps qu’il faut pour le dire !  On se sent tout de suite plus respectées vous ne trouvez pas ? Moins mal traitées, moins au chômage, moins battues, moins violées, mieux payées. D’un coup on nous parle bien, on ne se fait plus jamais insulter, on nous considère comme de vrais individus (pardon, de vraies individues).

A part ça, caissier se disait déjà caissière, chômeur/chômeuse pareil. Homme de ménage par contre ça, ça se disait nettement moins, salope ça existait aussi depuis des lustres et on n’avait pas l’impudence de dire salaude. Même députée ça se dit depuis des lustres. Et pourtant…  Bon, ministre c’est autre chose, comme pilote de ligne ou astronaute, ça reste neutre. Encore une petite épine dans la féminisation des professions prestigieuses semble t-il. Heureusement on s’en arrange en accordant l’article qui précède.

Et parallèlement à ces avancées langagières rappelons-nous certaines jolies féminisations anciennes que nous devrions célébrer aussi alors, tiens par exemple, un pouf, une pouffiasse. Hein ? a veut pas dire la même chose ? Ah mais vous êtes de mauvaise foi là… Un pet, une pétasse. Non ? C’est pas drôle non plus ?

Ma foi, vous n’avez pas le sens de l’humour.

Mais revenons à nos mouton-e-s.

Vous, femmes handicapées, n’auriez-vous donc remarqué aucune différence depuis qu’on cause autrement ?

Vous ne vous sentez pas plus aidées ? Soutenues ? Votre parole ne s’est pas libérée ?

Ben c’est que vous y mettez de la mauvaise volonté alors.

Parce que je vous assure qu’ici – à Paris, puisque c’est là que je vis –  on a presque la sensation que couve une révolution sous la coupole de l’Académie Française ! Ça atermoie, ça argumente et ça tranche ! Au-teu-rE, pro-fe-sseu-rE, mai-re-SSE.

Mais au fait, dans l’autre sens ça donne quoi ? Le masculin de rombière par exemple. Rombier ?  Et commère ? Et pute ? On dit comment un mec pute ?

Bon, c’est bien amusant tout ça, mais le fond de la question c’est que c’est pas avec ces « e » et ces tirets qu’on changera la condition des femmes en général, des femmes handicapées en particulier, celles qui n’apparaissent que symboliquement dans les demandes d’accompagnement, et aussi les autres qui ne souhaitent pas recourir à la prestation qu’on propose – parce qu’on a le droit de ne pas se sentir concernée par l’AS.

Reste que certains combats en cachent d’autres. Pendant que ça ergote sous la Coupole, à même pas cinq cents mètres se trouvent les député-e-s, et là ça ne bruisse pas du tout du son de la Vie sexuelle et du Handicap. Car pendant que quelques élues se démènent pour imposer des terminaisons illisibles censées améliorer notre sort social que diverses littératures journalistiques et bientôt administratives ne manqueront pas d’entériner comme un signe de mutation positive, d’autres (et souvent les mêmes) se contrefichent pas mal de porter la cause que nous défendons en franc-he-s tireur-euse-s (ben quoi c’est pas pratique à lire comme ça ?)

En d’autres termes, puisque certains débats sont toujours reportés aux calendes je continuerai à écrire comme j’ai appris à l’école. Bien sûr je m’attends à ce qu’on me dise prochainement que c’est  ringard, réac, et sexiste pourquoi pas aussi, qu’on m’inclue dans cette « pensée » (excusez du peu) mollassonne nourrie aux mêmes références et mêmes soit disant indignations qui panurge à tout va. M’en fous, j’ai pas plus envie de m’abîmer la vue que d’effectuer un travail de reconstruction mentale en lisant.

D’ailleurs il y a de quoi faire et les chantres de l’inclusion n’ont certainement pas dit leur dernier mot –  à quand une réécriture de La Comédie Humaine, du Capital et des Evangiles selon ces règles là qu’on se marre un bon coup.

En attendant, pour ce qui est des us et tics culturels on est encore loin du compte. La phallocratie et la discrimination ne sont pas moribondes et cette bataille autour de la féminisation des termes, si elle n’est ni totalement inepte ni totalement inutile, ne sert hélas principalement que de faire valoir à certains – et de cache-sexe à tout le reste.   C’est bien joué.

Alors non, le féminisme ne se mesure pas à cette aune là. Pas plus que le respect et la reconnaissance dont les femmes ont encore besoin pour qu’on puisse un jour parler d’égale considération.

Qu’on chicane ensuite pour des « e » et des tirets peut-être, si on n’avait plus que ça à obtenir je ne dis pas. Mais là personne ne me convaincra que se livre autour de ces discussions de salons l’amélioration du sort des femmes en général et des femmes handicapées en particulier. Et comme à titre personnel je ne rechigne pas à l’esprit de contradiction je n’écrirai pas nos combats et revendications sont pertinentes mais je continuerai à défendre ce qui est important pour moi, être humain et femme, hors de ces discussions d’alcôve – superfétatoires à mon avis mais qui déclenchent occasionnellement une franche rigolade, et par les temps qui courent, souvent peu réjouissants, j’aurais tort de ne pas sauter sur l’occasion.

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