Avril 2019

La séduction du faible au fort

Faut-il interdire tout relation sexuelle entre un professionnel de santé et un patient ? C’est la demande adressée à la ministre de la santé Agnès Buzyn par plusieurs femmes victimes de « prédateurs sexuels » en « blouse blanche » ou « sur divan » dans la pétition (http://www.atoute.org/n/article366.html) déjà signée par plusieurs personnalités.

La démarche pourrait paraître bienveillante et moderne. Une analyse plus profonde montre qu’elle révèle une méconnaissance totale des principes juridiques contemporains. Sacrifiant à l’ambiance actuelle, et à une tendance répressive à la mode, elle vise à créer un nouvel interdit là où les textes en vigueur définissent clairement la frontière entre les actes permis et les actes prohibés. D’où l’importance de rappeler ce que les textes interdisent déjà (1) et d’exposer ce que les pétitionnaires voudraient interdire (2).

1°) Ce que la loi et la déontologie interdisent déjà

Sur le plan strictement juridique, une relation amoureuse et/ou sexuelle entre un médecin et un patient majeur ne constitue en rien une infraction pénale. En vertu du principe de la légalité criminelle, la répression ne peut frapper qu’un médecin imposant à la volonté du patient un acte de nature sexuel par violence, menace, contrainte ou surprise. Une relation consentie entre adultes ne tombe pas sous le coup de la loi. Le législateur sanctionne plus sévèrement les infractions de viol ou d’agression sexuelle commises sur “une personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique, ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur”. (C. pén., art. 222-24-3° : viol ; C. pén., art. 222-29-2° : agressions sexuelles). Il va de soi que cette circonstance sera souvent vérifiée dans les hypothèses de poursuites contre les soignants. Il importe néanmoins que la juridiction saisie caractérise expressément cette vulnérabilité. Autrement dit, toute relation sexuelle entre un médecin et son patient n’est pas présumée imposée. Tout professionnel de santé n’est pas considéré comme agresseur potentiel. Mais s’il est prouvé qu’un soignant a imposé un acte à dimension sexuelle à un de ses patients, alors cet acte est jugé plus sévèrement que s’il avait été commis par un non médecin.

2°) Ce que les pétitionnaires voudraient interdire

Se fondant sur les théories de Freud, du transfert et du contre transfert, la pétition prétend que toute relation sexuelle entre médecin et patient devrait être prohibée. L’argumentation renvoie aux notions très à la mode d’emprise psychologique et implicitement de système agresseur (Marlène SCHIAPPA, La culture du viol, L’aube, 2018).

Il est intéressant de constater que la notion, de “consentement” est commune au domaine de l’intégrité corporelle et au domaine de la liberté sexuelle. Sans doute faut-il y voir deux prolongements du principe d’inviolabilité du corps humain. Dans les deux cas, un individu majeur est supposé bénéficier d’une autonomie de sa volonté lui permettant de choisir librement ce qu’il accepte et ce qu’il refuse. L’évolution de notre société et donc des règles juridiques qui régulent les rapports sociaux, permet d’affirmer que le patient n’est plus désormais infantilisé et que son autonomie est considérée comme un droit du patient. (Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé). Peut-on affirmer en même temps que le patient est aujourd’hui co-décideur de la relation de soin par un consentement libre et éclairé, mais qu’il lui serait interdit d’être co-décideur d’un acte sexuel ?

Il existe un courant contemporain de victimophilie, cumulé à une demande croissante de pénalisation, lesquels montrent d’ores et déjà des signes inquiétants pour les partisans de l’autonomie personnelle. L’enjeu est celui de la protection de la personne contre elle-même. La loi doit-elle interdire à l’individu de consentir à certains actes impliquant son corps ? Le droit pénal et la déontologie savent bien que ni le soignant, ni le soigné ne sont à 100% rationnels, et il peut y avoir entre eux échange de regard, d’odeurs, de fluides et pourquoi pas de sentiments, de rapprochements amoureux. Si l’on admet que les pulsions sont animales mais que les comportements sont sociaux, que certains comportements sont inspirés par des ressorts inconscients et que les normes pénales fondent une hiérarchie des valeurs sociales, alors on doit admettre que l’activité de soin est une activité professionnelle humaine qui connaît des cas de passage à l’acte délinquant qui doivent être sanctionnés de manière aggravée (c’est ce que propose le Code pénal actuel), mais qu’il n’y a aucune raison de prohiber systématiquement le rapprochement. Ou alors, il faudrait demander au soignant, le jour où il entre dans la profession de faire vœux de chasteté, ce qui n’a pas été invoqué depuis fort longtemps…

Reste la question morale universelle de la séduction entre partenaires psychologiquement asymétriques. Le beau peut-il moralement séduire le laid ? le riche, le pauvre ? l’adulte mature, le jeune adulte écervelé ? Le valide, le handicapé ? etc. En matière de sexualité, le Droit pénal contemporain repose sur un principe de liberté sexuelle avec deux limites : certains partenaires sont interdits (les mineurs) et pour les autres le consentement est le seul critère pour départager les actes licites et illicites.

Jupiter: […] le plus beau moment de l’amour d’une femme.

Mercure: […] Lequel ?

Jupiter: Le consentement.

Jean Giraudoux  (Amphitryon 38, 1929)