Mars 2016

Abolition ou prohibition ? Un courant contemporain semble sur le point de réussir à incriminer le recours à toute forme de prostitution. (Le texte sera débattu en troisième et dernière lecture le 10 mars 2016 au Sénat). Il repose sur la volonté de certains de supprimer, d’éradiquer, d’abolir la prostitution en punissant le client.  On notera que les partisans de cette pénalisation s’auto-intitulent « abolitionnistes », terme d’ordinaire réservé aux réformateurs en lutte pour abolir un mécanisme juridique ou une sanction pénale comme les combattant contre l’institution de l’esclavage ou les partisans de l’abrogation de la peine de mort. L’abolitionnisme a pour but de supprimer une loi. Or, les initiateurs des propositions de loi contemporaines visent à réprimer des faits. Il s’agit donc, littéralement, d’une démarche prohibitionniste. La nuance n’est pas mince.

Prostitution libre ou forcée ? Un des arguments les plus forts est d’affirmer que nul ne se prostitue par choix et qu’il y a donc lieu de créer une législation pour réprimer le client qui paie pour obtenir une prestation sexuelle d’une personne non-libre. Cette posture morale se vérifie probablement dans une grande majorité des cas. Mais l’argument juridique ne tient pas dès lors qu’on ouvre un Code pénal pour y constater que toutes les formes d’incitation à la prostitution sont d’ores et déjà prohibée sous la qualification de proxénétisme. La législation en vigueur permet de réprimer vigoureusement l’exploitation de la prostitution et surtout la traite des êtres humains en vue de les forcer à se prostituer. La loi du 5 août 2013 ayant déjà renforcé les peines applicables au fait de traite des êtes humains en vue de les astreindre à une soumission sexuelle payante ou non. La proposition de loi visant à pénaliser le client ne vise donc pas à lutter contre la prostitution forcée. L’objectif annoncé serait d’abolir toute forme de prostitution, consentie ou non, libre ou forcée.

La confusion entre désir et consentement. Le postulat fondamental des partisans de la prohibition de toute forme de prohibition est le suivant : « Parce que tout acte sexuel non désiré constitue une violence » (sic). Autrement dit, ce mouvement contemporain prétend affirmer qu’il ne doit plus y avoir à l’avenir de sexe sans désir. Ou, plus radicalement encore, que l’acte sexuel sans désir devrait être qualifié de violence, ce qui justifierait sa répression. Cette posture heurte le juriste qui ne confond pas consentement et mobile. Si le consentement libre et éclairé, manifestation de l’autonomie de la personne, est un critère juridique (Mariage, contrat, acte médical, sexualité etc.), le mobile ou cause subjective est, et doit rester, indifférent. Pourquoi untel consent-il à se marier, à contracter, à se faire opérer ou à lutiner ? Cela est indifférent dès lors qu’il exprime un réel consentement. La sexualité est toujours une question de consentement, lequel est parfois seulement motivé par le désir. Faire du désir un critère de licéité supposerait de créer une police du désir, des experts du désir et un jour… des juges du désir…

« Lorsque votre vie sexuelle est réussie, elle occupe 3 % de votre temps ; quand elle ne l’est pas, elle prend environ 97 % de vos préoccupations. »

Seamus HEANEY, poète irlandais, Prix Nobel de Littérature L‘Express 9 nov.1995, p.24